RENCONTRE AVEC JULY JUNG - About Kim Sohee

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La réalisatrice coréenne, qui s’était faite remarquer avec son premier long-métrage A girl at my door (2014), revient avec About Kim Sohee, présenté en clôture de la Semaine de la critique 2022. Inspiré d’une histoire vraie, le film raconte le lien entre une lycéenne travaillant sous pression dans un centre d’appel et une policière chargée d’enquêter sur l’entreprise de téléphonie. 

About Kim Sohee est inspiré d’une histoire vraie, celle d’une jeune lycéenne qui s’est suicidée en 2016 alors qu’elle suivait une formation professionnelle dans un centre d’appels. L’enquête menée a révélé que les conditions de cette formation étaient déplorables. Ce travail est-il répandu en Corée ?

Quand on m’a proposé de faire un film sur cette histoire, je ne connaissais pas l’affaire. Une fois que j’ai accepté de réaliser ce film, j’ai commencé à faire des recherches sur ce fait divers. C’est à ce moment-là que j’ai compris que les jeunes qui fréquentent les lycées professionnels doivent faire une formation professionnelle avant de finir l’école. Dans le cadre de ces formations, ils peuvent aller dans ces centres d’appels, dans des usines… On voit dans le film des garçons qui travaillent comme main-d'œuvre très peu chère à l’usine. Le système scolaire de Corée du Sud oblige chaque école à avoir un taux d’emploi élevé, donc tout ce qui compte pour l’école c’est d’arriver à ce taux d’emploi, ils envoient les étudiants un peu partout sans savoir ce qu’ils font réellement. 

Mais il ne faut pas généraliser, toute la jeunesse coréenne ne subit pas ces conditions de travail. Cependant, en faisant mes recherches j’ai appris que les lycéens qui partent en formation professionnelle ne sont pas embauchés ni en tant que travailleurs ni en tant qu’étudiants, et se trouvent dans une zone grise, sans loi pour les protéger. Au départ, je ne comprenais pas pourquoi ils travaillaient là-bas, mais quand j’ai fini par comprendre pourquoi, j’avais vraiment envie de faire un film dessus.


Vos deux films s’intéressent au sort de la jeunesse, les enfants battus dans A girl at my door et les lycéens soumis aux pressions économiques dans About Kim Sohee. D’où vous vient cet intérêt pour la jeunesse coréenne ?

Dans mes deux films, la personne qui raconte l’histoire est un adulte, Young-Nam dans A girl at my door et Yu-jin dans About Kim Sohee, donc personnellement je me sens plus proche de ces deux femmes adultes. Sohee et Do-hee, les jeunes filles de mes deux films, représentent toutes deux, en quelque sorte, mon passé. Quand je vois les enfants qui se trouvent dans ces conditions-là, ça me fait mal au cœur et ça me préoccupe.


L’entraide entre femmes et jeunes filles est au cœur de vos films. En quoi est-ce important pour vous de représenter des amitiés féminines sans rivalités ?

Quand j’écris un scénario, c’est ce point-là qui m’importe le plus. Dans A girl at my door, c’est justement la rencontre de la petite fille avec la policière qui décide de tout, c’est parce qu’elles se sont rencontrées que la tragédie arrive. Ce qui m’intéresse c’est la rencontre entre les femmes, la tragédie qui en découle et la résonance de cette histoire une fois le film terminé. J’aime que les spectateurs imaginent la suite de l’histoire. 

A girl at my door - Copyright Epicentre Films

Dans ce film, vous osez faire un acte qui n’est pas du tout cinématographique de prime abord : faire mourir le personnage principal au milieu du film. Pour quelles raisons le film prend-il cette forme surprenante ? Ce geste est-il inspiré de Psychose ?

J’ai eu cette idée dès le commencement du scénario, c’était une décision assez naturelle pour moi parce que ce film n’évoque pas que le décès de cette fille, ça parle d’autre chose. Mais en même temps j’étais complètement consciente que c’était une décision lourde à prendre. Quand on voit Psychose de Hitchcock ou L’Avventura d’Antonioni, ce n’est pas tout à fait le même cas car le personnage ne meurt pas en plein milieu du film, mais en même temps cela constituait pour moi des exemples très réussis. Je savais que je prenais un risque mais je n’avais pas peur grâce à ces bons exemples qui existaient déjà.


Avec About Kim Sohee, vous retrouvez l’actrice Doona Bae pour la deuxième fois, qui joue à nouveau une policière. Elle a un côté totalement absent, comme un fantôme. Que trouvez-vous d’inspirant chez cette actrice ? 

Ma première expérience avec elle sur le tournage de A girl at my door était tout simplement fantastique, je trouve que c’est une actrice exquise. Quand j’ai décidé de prendre le risque de raconter l’histoire en deux parties, j’ai pensé à Doona Bae. Le film prend une structure étonnante, car avec la mort de Sohee et l’écran noir qui suit, le spectateur pense que le film est fini. C’est à ce moment-là que Doona Bae arrive et commence à captiver l’attention. C’est vraiment une actrice capable de captiver le public en arrivant au milieu d’un film, alors qu’on a perdu le personnage principal. C’est pour cela que j’ai pensé à elle dès l’écriture du scénario. Doona Bae a une grande capacité technique en tant qu’actrice, elle est très expérimentée, mais en même temps elle a une espèce d’instinct, elle comprend tout de suite la scène. Ce mélange paradoxal fait qu’elle parvient à exprimer des émotions très subtiles, à construire un personnage qui n’est pas typique, c’est ce qui m’étonne toujours chez elle.

Dans les deux films, les personnages de petite et jeune fille trouvent un réconfort dans la danse. L’art fait-il figure de réconfort pour vous ? Quelles œuvres en particulier ?

À part le cinéma, c’est la littérature. J’aime principalement la littérature coréenne et particulièrement celle d’écrivaines comme HAN Kang et KWON Yeo-sun. J’adore leurs œuvres et elles m’inspirent beaucoup. D’ailleurs, le prénom de Sohee vient d’une nouvelle de KWON Yeo-sun. Lire leurs livres me console et j’essaie d’exprimer ce que je ressens dans leurs livres à travers le cinéma. J’aime beaucoup Annie Ernaux aussi, que je viens de lire. Au cinéma, j’admire les films de David Lynch, Almodovar, Agnès Varda et Lee Chang-dong, qui a produit mon premier film.

Huit ans séparent A Girl at my door et About Kim Sohee. Que s’est-il passé, qu’avez-vous fait durant ces huit années ?

J’avais un projet auquel je tenais beaucoup juste après A girl at my door. J’ai passé trois ans à écrire le scénario et une fois terminé, je suis allée chercher des financements mais je n’en ai trouvé aucun. Pour pouvoir abandonner complètement ce projet, j’ai mis 3 ans. Donc cela fait 6 ans, ça passe vite.


Dans votre prochain film, sera-t-il encore question d’héroïnes et d’amitié entre femmes ?

Je ne sais pas exactement quel sera mon prochain projet mais j’en ai plusieurs dans ma tête et principalement avec des personnages féminins.

Propos recueillis le 22 mars 2023 par Esther Brejon

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