RENCONTRE AVEC NISRIN ERRADI– « À travers mes personnages, je veux être la voix de ces femmes qui sont maltraitées par la société patriarcale »

© Les Films du Nouveau Monde / Ali n'Productions

L’étoile montante du cinéma marocain, Nisrin Erradi, est aujourd’hui à l’affiche du film Everybody loves Touda de Nabil Ayouch dont la sortie est prévue le 18 décembre 2024. Après avoir été présenté cette année en sélection officielle à Cannes, ce drame poignant, porté par l’interprétation magistrale de Nisrin Erradi dans le rôle principal, a été choisi pour représenter le Maroc aux Oscars 2025 dans la catégorie Meilleur film international. Nisrin Erradi incarne Touda, une femme qui rêve de devenir cheikha, une figure artistique adulée et controversée au Maroc, qui interprète des chants nés du cri des textes subversifs d'amour et de résistance. Nisrin Erradi, par la force de son interprétation, redonne voix et rend hommage à cet emblème de l’émancipation féminine marocaine.


Nisrin, peux-tu nous raconter comment est entré le cinéma dans ta vie ?

J’ai suivi une formation en cinéma-théâtre, j’ai commencé le théâtre à l’âge de six ans. J’ai intégré des troupes de théâtre, puis, après l’obtention de mon baccalauréat, l’Institut supérieur d’art dramatique de Rabat (ISADAC). Je rêvais de faire du cinéma et pour moi cela passait à travers l’étude du cinéma-théâtre. J’ai énormément travaillé sur Tennessee Williams, j’aimais tout particulièrement son approche du cinéma-théâtre.

Un premier film que tu as vu et qui t’a marqué ? 

Les Dents de la mer de Steven Spielberg est le premier film VHS que j’ai vu quand j’étais petite. (rires)

Un rôle inoubliable que tu as aimé incarner ? 

Il y en a plusieurs, mais si je devais n’en choisir qu’un, ce serait Touda, j’attendais ce rôle ! 

Comment as-tu rencontré le réalisateur d’Everybody Loves Touda, Nabil Ayouch ?

Ça fait quinze ans que l’on se connaît avec Nabil, j’ai travaillé avec lui une première fois pour la production d’une série télévisée quand j’étais étudiante à l’ISADAC. À l’époque, il m’avait remarquée et m’avait dit « Un jour on travaillera ensemble ». En 2019, après avoir travaillé sur le film Adam de la réalisatrice Maryam Touzani, qui est aussi la femme de Nabil, nous nous sommes retrouvés tous les trois au Festival du film d’El Gouna en Égypte. Lors d’une soirée, il m’a proposé de jouer le rôle de Touda, il était en train de commencer à écrire le scénario du film. 

Comment s’est passée votre collaboration pour Everybody Loves Touda ?

Lorsque Nabil est venu me proposer le personnage de Touda, j’étais vraiment très heureuse de pouvoir l’interpréter, car je rêvais de travailler avec lui, c’est l’un des seuls réalisateurs marocains avec qui je rêvais vraiment de jouer. J’admire l’artiste qu’il est et je lui fais totalement confiance. Si le cinéma marocain en est là où il est aujourd’hui, c’est en grande partie grâce à lui. 

Pourquoi as-tu accepté d’incarner le rôle de Touda, une cheikha, figure controversée au Maroc ?

J’ai ressenti un lien particulier avec Touda, car nous nous ressemblons sur beaucoup de points, nous ne lâchons rien, nous sommes des battantes, et nous avons un côté rebelle. Touda est une artiste et elle aspire à être respectée dans ce domaine, comme moi dans le milieu du cinéma. J’avais aussi envie de changer la vision que les gens ont des cheikha au Maroc.

Avant de jouer ce rôle, quel regard portais-tu sur les cheikha ? 

J’ai toujours eu de l’admiration et du respect pour les cheikha, et cela a commencé à l’époque où j’étudiais à l’Institut supérieur d’art dramatique de Rabat. Je me souviens avoir même réalisé un exposé sur l’histoire des cheikha, dont cheikha Kharboucha, une poétesse engagée, une légende marocaine, qui excellait dans l’art de l’aïta. Sa personnalité et ses textes m’ont immédiatement fascinée. Je pense que cette lecture me préparait en quelque sorte à jouer Touda un jour. 

Depuis, ton regard a-t-il changé ?

J’ai toujours eu du respect pour les cheikha, car ce sont des artistes et mon admiration pour elles s’est accentuée, elles m’inspirent encore plus qu’avant. 

© Nabil Ayouch

Pour incarner Touda, comment as-tu préparé ce personnage, notamment les scènes de chant dont l’aïta, les danses, la gestuelle, le langage, etc. ? 

J’ai vécu avec trois magnifiques cheikha que sont Khadija El Bidaouiya, qui nous a malheureusement quittés pendant le tournage, Siham El Mesfiouia et Houda Nachta. Durant plusieurs mois, nous avons vécu dans la même maison, je sortais avec elles dans les soirées de vieux bars de Casablanca où chantent les cheikha. Je me suis tout simplement plongée dans leur quotidien. 

Le film montre bien que Touda est un objet de fascination pour les hommes mais aussi de haine, elle est victime de violences verbales et physiques. Comment as-tu travaillé avec Nabil ces scènes de violences physiques et notamment la scène de viol au début du film ? 

Nous avons énormément discuté avant de tourner pour préparer au mieux cette scène durant le tournage, et grâce à ces discussions et cette confiance mutuelle, tout s’est bien passé, Nabil m’a laissé une grande liberté pour jouer Touda à ma façon tout en respectant mes limites.

Ta filmographie comporte de nombreux films avec des rôles féminins engagés (Adam, Reines, Everybody Loves Touda…). Te considères-tu comme une actrice militante, féministe ?

À travers les rôles que j'incarne, je cherche toujours à être la voix de ces femmes qui sont jugées et maltraitées par la société patriarcale. À force d’interpréter des rôles féministes, je pense que je le suis devenue, mais j’ai un regard particulier sur le féminisme. Je ne veux pas être contre les hommes, je suis pour l’égalité, la vraie. 

Quelle a été la réception du film au Maroc, notamment au festival du film de Marrakech où il a été projeté pour la première fois ?

Le public a été conquis, j’ai été très surprise par l’engouement qu’il a provoqué lors de la projection dans la salle des Ministres du festival du film de Marrakech. Je ne m’attendais pas à cela, j’ai été très émue.

Depuis quelques années, on constate que le Maroc est sur le devant de la scène cinématographique mondiale, avec une nouvelle génération de cinéma très créative et qui représente notamment de nouvelles représentations des femmes marocaines au cinéma. En tant qu’actrice et spectatrice, quel regard portes-tu sur le cinéma marocain actuel ?

Le Maroc est en pleine évolution, et cela ne concerne pas seulement l’industrie du cinéma, mais aussi l’économie et la politique. Je pense que le Maroc est en train de devenir l’un des pays les plus prometteurs du monde arabe pour le cinéma. La nouvelle génération de cinéma avec Sofia Alaoui, Yasmine Benkiran, Asmae El Moudir, Kamal Lazraq, etc., est très talentueuse et fait ses preuves dans les festivals les plus prestigieux du monde entier.

Y a-t-il une cinéaste marocaine du Maghreb ou du monde arabe dont tu aimes le travail et que tu souhaiterais nous faire découvrir ? 

J’adore le travail et la vision de la cinéaste marocaine Yasmine Benkiran. J’ai adoré jouer dans son premier long-métrage Reines, elle a beaucoup de talent et elle va faire parler d’elle dans les années à venir !

Quels sont tes projets à venir ?

Je travaille actuellement sur un projet de long-métrage intitulé  Zarzis  avec le cinéaste iranien Farzad Samsami. J’y incarne un très beau personnage, mais malheureusement, je ne peux pas vous en dire plus. 


Propos recueillis par Sarah Dulac Mazinani

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