SARAH BERNHARDT,LA DIVINE - Guillaume Nicloux
© Bac Films
La sentinelle
Porter l’histoire de Sarah Bernhardt, monstre sacré du théâtre, au grand écran est un défi de taille. Si Guillaume Nicloux parvient à en faire un film énergique et amusant, qui doit beaucoup à la performance de Sandrine Kiberlain, on regrette qu’une fois encore, le portrait d’une femme soit davantage axé sur ses amours plutôt que sur sa carrière.
1915. Après l’amputation d’un poumon et d’un rein, c’est à présent une jambe que l’on retire à la première vedette mondiale, Sarah Bernhardt (interprétée par Sandrine Kiberlain). Dans sa chambre d’hôpital, ses amis se succèdent, suivis de son grand amour, le comédien Lucien Guitry (Laurent Lafitte), puis du fils de ce dernier, Sacha Guitry (Arthur Mazet) auquel elle raconte les événements qui ont marqué sa vie. Ainsi s’enchaînent des flashbacks qui couvrent plus de deux décennies, la plupart mettant en scène sa relation mouvementée avec Lucien. Grâce à cette construction simple mais efficace, Guillaume Nicloux tisse un récit dynamique sur le parcours de la comédienne qu’il décide de ne représenter qu’une fois devenue célèbre.
Face à sa caméra défilent des décors et des costumes hauts en couleur (qui ne sont pas sans rappeler l’esthétique des Illusions perdues de Xavier Giannoli) et tous les personnages importants du tournant du XIXe au XXe siècle : Émile Zola, la portraitiste Louise Abbéma, le dramaturge Edmond Rostand, le dessinateur Alfons Mucha et même Sigmund Freud. Ce petit monde de l’intelligentsia parisienne gravite autour d’une Sarah Bernhardt qui s’illustre par ses répliques éloquentes, drôles mais parfois méchantes et agressives. En effet, le regard porté sur la comédienne par Guillaume Nicloux n’est pas tout à fait tendre. Il n’hésite pas à peindre son orgueil démesuré et sa répartie qui peut en blesser plus d’un (ce qui était d’ailleurs rapporté par les journalistes de l’époque ou même par Sacha Guitry dans son film Ceux de chez nous, où il livre une anecdote démontrant le piquant de l’actrice, qu’on vous laisse découvrir). Mais il est regrettable que ses coups d’éclat soient souvent confinés dans son appartement avec son amant plutôt que dans son théâtre avec sa troupe de comédiens.
© Bac Films
Fausse note dans l’hommage à la « Voix d’or »
Si tout biopic doit avoir un point d’ancrage solide pour éviter de s’éparpiller et de perdre son rythme, le choix de s’axer sur la relation entre Lucien Guitry et Sarah Bernhardt tend à invisibiliser la carrière gargantuesque de cette femme qui a été la première comédienne à faire des tournées sur les cinq continents et qui, encore aujourd’hui, a son étoile sur le Walk of Fame de Los Angeles. Cette tendance – faire des biopics sur les personnages féminins en montrant « la femme » derrière l’artiste là où les hommes ont droit à l’étalage de leurs exploits – n’est malheureusement pas nouvelle. On peut penser aux films sur Mary Shelley ou sur Colette faisant état de leurs mariages malheureux plutôt que de leurs travaux d’écrivaines.
Dans La Divine, même s’il est fait mention des tournées et de ses nombreux rôles, on voit rarement Sarah Bernhardt sur scène ou en répétition. Sa manière très lancinante et presque chantante de déclamer ses textes (dont il existe encore des enregistrements) n’est pas reproduite. On oublie également le fait qu’elle a transformé l’Odéon en hôpital militaire pendant le siège de Paris en 1870 ou la fois où elle s’est rendue sur le front pendant la Grande Guerre pour amuser les troupes alors qu’elle n’avait plus qu’une jambe. Bref, toutes ces histoires qui font d’elle plus qu’une femme amoureuse, plus qu’une comédienne célèbre, mais bien Sarah Bernhardt pour qui Jean Cocteau a inventé l’expression « monstre sacré ».
En sortant du film, on retient cependant la soif de vie inextinguible de cette excentrique, toujours aussi grandiloquente (ou « Sarahloquente » comme disent les personnages du film) même dans les moments où elle est âgée et malade. Cela évite à La Divine de tomber dans l’écueil de l’hommage larmoyant et trop convenu. La Sarah Bernhardt de Sandrine Kiberlain apparaît libre, déterminée, et cette interprétation vive rappelle l’immortalité du mythe qu’elle incarne. Sous ses traits, Sarah Bernhardt devient la sentinelle, cette petite lampe qui a pour unique mission d’illuminer les théâtres, même si le public est parti et qu’il ne reste sur les planches que les fantômes de ceux qui y ont joué.
ENORA ABRY
Sarah Bernardht, La Divine
Réalisé par Guillaume Nicloux
Écrit par Nathalie Leuthreau
Avec Sandrine Kiberlain, Laurent Lafitte et Amira Casar
France, 2024
Paris, 1896. Sarah Bernhardt est au sommet de sa gloire. Icône de son époque et première star mondiale, la comédienne est aussi une amoureuse, libre et moderne, qui défie les conventions. Découvrez la femme derrière la légende.
En salles depuis le 18 décembre