RENCONTRE AVEC AXELLE ROPERT ET LÉA DRUCKER - Petite Solange

À l’occasion de la sortie en salle de Petite Solange, le quatrième long métrage de fiction d’Axelle Ropert qui a reçu le prix Jean Vigo en octobre dernier, nous avons rencontré la cinéaste, ainsi que Léa Drucker.

Le divorce est devenu assez banal de nos jours pourtant il est au cœur de Petite Solange et embrasse tout son côté dramatique. Pourquoi ce choix ? 

Axelle Ropert : C’est à cause d'une espèce de paradoxe. Effectivement, le divorce est d’une banalité totale‧ Deux couples sur trois finissent par divorcer. Il fait presque partie d’un itinéraire de vie maintenant. Mariage, naissance, perte d’emploi, changement de carrière, partir en vacances et puis divorcer. J’avais envie de creuser derrière ce phénomène — qui est un phénomène sociologique — et de montrer qu’il y avait un vrai chagrin là-dedans, qu’il y avait un sujet, notamment du côté des enfants et des adolescents sur cet événement, que nous adultes, nous avons intégré dans nos trajectoires de manière presque cynique. On divorce et puis, on retombe amoureux et la vie continue. Mais pour les enfants, c’est un scandale. Ils ne sont pas nés pour voir leur parents se séparer. Ils veulent les voir toujours ensemble et former un couple parfait. J’avais envie de raconter ça. Je trouve que c’est un chagrin à la fois très universel et mal raconté au cinéma. Il était temps de bien le raconter. 

Il vous fallait une jeune actrice capable de transmettre ce chagrin mais aussi capable de montrer une certaine naïveté et de porter le film sur ses épaules. Comment Jade Springer est venue à vous ? 

A. R : Jade est venue à moi à l’issue d’un long casting que j’ai effectué avec une directrice de casting merveilleuse qui s’appelle Joanna Grudzinska. J’adore la candeur et l'innocence, je ne voulais pas d’une adolescente trash et blasée même si je pense que, fondamentalement parlant, tous les adolescents sont naïfs. Même ceux qui sont trash et blasés sont d’une naïveté totale. Mais je voulais quelqu'un qui ait de la candeur et en même temps quelqu’un qui sache jouer la douleur, la grande douleur de la vie, et c’est très rare de trouver cela chez des actrices de quatorze ou quinze ans. Ce qui est normal, elles n’ont pas encore assez vécu d’une certaine manière. Jade est arrivée et avait ça en elle. Ce sens de la douleur, qui n’appartient qu’à elle et qui nous a tout de suite frappé. 

Vous montrez un passage de transition à l’intérieur de l’adolescence, la première douleur marquante. Solange est une adolescente qui n’a rien à voir avec les adolescentes qu’on se figure grâce au cinéma et à la télévision, elle possède encore une aura enfantine. Était-ce pour pousser le curseur sur le déchirement qu’elle vit ? 

A. R : Je trouve que les adolescents très adultes, que l’on montre dans les séries américaines par exemple, sont très binaires. On peut avoir une vie sexuelle violente et intense à quinze ans et être un enfant dans sa tête, c’est même très fréquent. C’est vrai que Solange est à cet âge où elle ne se pose pas encore la question de la sexualité. On associe d'ailleurs très souvent une sexualité trash et débridée à l’adolescence des filles. Nous n’avons plus l’habitude de voir les adolescents comme des enfants, alors qu’il n’existe pas plus compliqué d’allier l’innocence et la candeur à l’adolescence. C’est ce qui rend les choses si intenses !

Je me tourne vers vous Léa. Le rôle de mère est un rôle pesant, surtout dans une famille nucléaire. Le personnage d’Aurélia possède cependant une liberté dans le film, elle est une femme aussi bien qu’une mère. Est-ce parce qu’elle est actrice ? 

Léa Drucker : Tout à fait, il y a des points de rencontre. Sur sa vie d’actrice, sur ce qu’elle aime faire et ce qui la passionne. C’est un personnage qui est assez égoïste. C’est la première fois que je l’exprime d’ailleurs mais, en lisant le scénario avant de commencer le tournage, je me suis dit qu’il y avait quelque chose à assumer par rapport à sa fille, un certain égoïsme qui n’est pas conscient mais qui se loge dans l’histoire. Aurélia aime être comédienne, aime le théâtre. Elle se demande si elle était bien, est-ce qu’elle sera bien demain, qu’est-ce qu’en pense sa fille, … Cette place que la vie d’actrice prend dans une famille. Cet égoïsme là, que je comprends très bien et qui me touche aussi. C’est une femme qui a besoin de sentir qu’on la regarde, qui a sûrement été très aimée par son mari, très applaudie, très encouragée. Il se trouve que tout s'effondre, elle n’a plus de pilier et elle est déboussolée. Ce tourment, c’est tout ce que j’ai aimé en elle. Mais il y avait quelque chose d’un tout petit peu grinçant à trouver. De Solange qui vient dans ma loge et qui me coiffe et moi qui lui pose des questions sur ma performance. C’est très égoïste de faire ça sur le papier. Mais elle fait un chemin. Parce que les événements vont faire qu’elle va être secouée, elle va regarder autour d’elle et voir qu’il y a eu du dégâts, qu’il faut le prendre en charge avec ses moyens. C’était un processus intéressant de la créer en chair et en os. 

« Je trouve que c’est un chagrin à la fois très universel et mal raconté au cinéma. Il était temps de bien le raconter. »

Axelle Ropert

Aurélia est filmée presque comme un fantasme. Il y a un côté vintage qui lui est attaché, des odeurs aussi, d’une féminité qui n’intéresse pas encore Solange d’ailleurs. 

L. D : Oui, je l’ai beaucoup ressenti en voyant le film et même pendant le tournage mais je ne saurais dire quand. Comme nous sommes du point de vue de Solange, il y a quelque chose dans l’écriture qui permettait cela. Même dans les choix de mise en scène d’Axelle, de costume aussi, de décors. 

Cela vient peut-être aussi de l’atmosphère très universelle qui se dégage de Petite Solange, il n’y pas pas de marqueur de temps.

L. D : C’est un temps de cinéma.

A. R : C’est marrant parce que c’est quelque chose qui ressort souvent quand on me parle du film ! Cest vrai que je n’ai pas accentué les objets contemporains à l’image. Je voulais que le film soit de toute éternité. Je me méfie des marqueurs de l’époque qui font que le film est périmé au bout de cinq ans. Par exemple, dans le James Bond qui est sorti récemment, il a fallu qu’ils mettent à jour numériquement les téléphones parce qu’ils étaient périmés au bout de six mois. C’est absurde ! Dans un entretien des Cahiers du cinéma, on pose à Paul Thomas Anderson la question de son plaisir à filmer des objets vintage dans Licorice Pizza. Il a répondu que, pour lui, ce n’était pas du tout vintage, ce sont des objets qui se prêtent au cinéma. C’est vrai qu’une cabine téléphonique fait scène de cinéma. Le téléphone portable, c’est nul, il n’y a rien à créer visuellement parlant. Ma volonté était de faire du pur cinéma avec un thème très actuel.

C’est un peu ce qu’on retrouve dans cette scène où Solange coiffe sa mère dans le loge, avec la lumière de la coiffeuse. C’est un plan très “cinéma”, il n’a pas d’âge mais fait quand même appel à une certaine nostalgie.

L.D : Oui, je vois ce que vous voulez dire. C’est une très belle scène parce qu’il y a tout cet aspect de transmission de la féminité.

A. R : Exactement, l’admiration visuelle, on s’approche d’un certain érotisme. Il y a un côté très petite fille à voir sa mère comme fantasme ultime de féminité et qui les rend vulnérables dans un certain sens. C’est un sujet qui me plait mais qui n’est pas tant représenter au cinéma.

Il y une nuance très intéressante qui se dégage de ce personnage. Les mères n’ont pas tendances à être aussi équivoque au cinéma. Est-ce parce que le récit fait partir la famille en éclat qu’elle peut jouir de plus d’ambivalence ? 

A. R : Il y a un sujet qui m’intéresse beaucoup, c’est la difficulté pour les femmes à conjuguer une ambition professionnelle ou une passion avec le fait d’être mère. Il reste un énorme problème et je veux l’explorer dans mes films à venir. On autorise très peu les femmes à être des “mauvaises mères”, alors qu’on autorise beaucoup les hommes à être de “mauvais pères”. Une femme qui est absente tout le temps parce qu’elle a des passions professionnelles extérieures, c’est compliqué pour elle de l’assumer et de l’assurer. Moi je le vois bien, j’ai deux enfants et il y a des moments où je suis très prise par le cinéma. Ma fille me le reproche alors qu’elle ne le reproche jamais à son père. Il y a une très grande difficulté, encore maintenant, à avoir de grandes ambitions professionnelles, de grandes passions en dehors de la vie familiale et d’être une bonne mère en même temps. Et même intimement, à l’intérieur de nous, c’est une contradiction que nous n’avons pas encore résolue.

Je ne voulais pas qu’Aurélia soit une femme au foyer même s’il n’y a pas de mal à être femme au foyer. Je voulais qu’elle ait son univers en dehors de l’atmosphère familiale et que cela lui prenne toute son attention. L’admiration que peuvent avoir les filles pour leur mère est quelque chose qui est apparu chez ma génération, où pour la première fois nos mères travaillaient. C’est horrible, mais avant les enfants n’étaient pas fiers du métier que faisait leur mère ; ma mère n’a jamais été fière de sa mère par exemple. Si je parle de mon expérience, je vois que ma fille de dix ans possède une sensibilité à des questions de féminisme et d’injustice que je n’avais pas à son âge et j’ai l’impression qu’elle est en train de “juger” si je suis digne de son admiration ou non, du point de vue de ces questions. C’est fascinant et très contemporain comme questionnement. Je pense que ce sera un très bon sujet quand ces jeunes filles vont grandir.  

Merci à Chloé Lorenzi, Hilario Matias Da Costa et Marie-Lou Duvauchelle

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