SEPTEMBER & JULY - Ariane Labed

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Être sœur avant tout

Après le court métrage Olla, Ariane Labed affirme son style expressif et maîtrisé et joue avec les frontières de l’étrange, au cœur de l’intimité d’une relation fusionnelle entre sœurs.

Voir des enfants jouer est une expérience fascinante. Qui sait ce qu’il se passe exactement dans leur imagination, quelles sont les règles secrètes fixées dans leur cadre de jeu ? September et July, presque jumelles, ont ce type de lien fusionnel déstabilisant, fourmillant de langages et rituels tacites dont nous sommes témoins dès le début du film. September, la plus farouche, exerce un pouvoir surprotecteur sur July, au tempérament bien moins solaire que ne le suggère son prénom. Elles ont une habitude : quand September dit à July de faire quelque chose, celle-ci s'exécute. Ce jeu, version sinistre de Jacques a dit, donne son nom original au long métrage.

C’est le symbole de l’inconfortable co-dépendance des jeunes adolescentes, disséquée dans le roman original, Sisters de Daisy Johnson. Ariane Labed réussit brillamment le pari d’adapter un récit littéraire très centré sur l’intériorité des personnages. Elle rattache avec créativité les enjeux des relations à un riche univers visuel incarné, comme ce moment de réconciliation entre Sheela et ses filles, qui devient une session câline, sous une tente construite à la va vite avec des draps au-dessus du canapé. Cet univers exclusivement féminin est exploré sous toutes ses coutures, avec une attention flagrante portée au détail et bienvenue de réalisme (on aperçoit une serviette hygiénique portée !).

La réalisatrice s’amuse avec les limites de la normalité, infusant des indices inquiétants dans ces situations familières. Lorsqu’un événement mystérieux arrive, au terme de la première partie du film, la famille se retire dans une petite station balnéaire irlandaise. Cette virée soudaine ressemble en apparence à des vacances, mais de nombreux détails clochent. Il faut entrer par effraction dans la maison car elles ne trouvent plus les clés, et la balade sur la plage, tant réclamée par les deux sœurs, est sans cesse repoussée au lendemain. Ariane Labed en profite pour jouer habilement avec le pouvoir de la suggestion, déployant ses images sublimées par un sens aiguisé de la composition des plans.


Cette maîtrise ne fige pas la mise en scène, au contraire. Le style de September & July est libéré, épousant l’énergie charivarique des deux sœurs. Une scène de relation sexuelle plutôt comique ressort notamment, agrémentée d’une voix off soudaine qui exprime les pensées de Sheela alors qu’elle peine à se concentrer sur son plaisir.

Le film se pare à de nombreuses reprises de couleurs surréalistes, allant même jusqu’à incorporer des scènes franchement effrayantes. Le clin d'œil au cinéma d’horreur est lancé dès le premier plan du film, dans lequel sont présentées les deux sœurs sous les traits des jumelles effrayantes de Shining. L’animalité du jeu de celles-ci ajoute une dimension organique qui fait tout son sens avec les thématiques adolescentes qui traversent le film. Dans ce paysage morose de la campagne irlandaise, elles commencent à explorer leur sexualité, mais n’arrivent pas à sortir du monde étouffant dans lequel elles s’enferment, et qui semble prendre des proportions démesurées. Il faut attendre la fin du film pour avoir un éclairage sur la dimension psychologique des personnages, fidèlement à la structure du roman. 

Sélectionné pour le prix Un certain regard à Cannes, September & July se démarque par sa singularité, et donne envie de suivre Ariane Labed dans ses futurs projets, qu’on espère voir sortir encore plus des sentiers battus.

LÉA LAROSA

September & July

Réalisé par Ariane Labed

Avec Mia Tharia, Pascale Kann, Rakhee Thakrar

July fait face à la cruauté du lycée grâce à la protection de sa sœur aînée September. Sheela, leur mère, s’inquiète lorsque September est renvoyée et July en profite pour affirmer son indépendance. Après un événement mystérieux, elles se réfugient dans une maison de campagne, mais tout a changé…

En salles

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