SIMPLE COMME SYLVAIN - Monia Chokri
Quand les contraires s’attirent
Après La Femme de mon frère (sélection Un certain regard au Festival de Cannes 2019) et Babysitter (2022), Monia Chokri revient derrière la caméra avec Simple comme Sylvain, son troisième long-métrage ; une romance envoûtante, qui questionne notre perception de l’amour, du couple et du désir, à découvrir en salles le 8 novembre 2023.
Qui dit automne dit comédie romantique réconfortante pour nous accompagner dans cette saison poético-mélancolique annonçant l’arrivée de l’hiver. Le nouveau long-métrage de la cinéaste québécoise Monia Chokri a justement pour cadre temporel l’été indien, période automnale aux températures douces et aux couleurs chatoyantes typiques du Canada, et nous parle d’amour avec humour et finesse.
Alors que Sophia, sage philosophe, mène à Montréal une vie rangée depuis dix ans avec Xavier, son compagnon anthropologue, c’est le coup de foudre immédiat lorsqu’elle rencontre Sylvain, le séduisant charpentier engagé pour réaliser des travaux dans leur chalet. Bien que tout les oppose, la raisonnable Sophia décide désormais de se laisser guider par la passion.
En s’appuyant sur les contrastes sociaux importants qui existent entre Sophia et Sylvain, deux personnages antagonistes qui tombent éperdument amoureux, Monia Chokri emprunte les codes de la comédie sentimentale pour mieux les détourner. Issue d’un milieu socioculturel aisé de gauche, Sophia, la quarantaine, est une femme intelligente et séduisante qui dispose d’un cadre de vie confortable. Elle partage sa vie avec un intellectuel et a pour groupe d’ami.es des intellectuel.les et des artistes, qui débattent lors de dîners de manière avisée des sujets de société, sur les somptueuses mélodies de la chanteuse égyptienne Fayza Ahmed. À l’inverse, Sylvain est un manuel qui commet souvent des erreurs lexicales. Moins délicat que Sophia, c’est un homme de la campagne qui travaille comme charpentier dans sa région natale et rurale des Laurentides, où il aime pêcher et chasser. Issu d’un milieu modeste, il n’a pas fait de grandes études, d’où sa fascination pour l’intelligence de Sophia. Physiquement très attirant, il incarne l’archétype du mâle viril et irrésistible qui ravive le désir de Sophia.
Avec beaucoup de second degré, Monia Chokri s'amuse à représenter, à travers dialogues, costumes et décors, ces deux mondes qui s’opposent. Personne n’en sort indemne : ni le petit milieu intellectuel précieux de Sophia, souvent insupportable, ni l’entourage de Sylvain, fan de Michel Sardou et dont la rusticité frôle souvent la vulgarité. Mais, au-delà de ces décalages et de ces situations cocasses, la cinéaste nous pousse à nous interroger sur la viabilité ou non de l'amour entre deux êtres issus de milieux sociaux différents. De manière plus générale, elle questionne la notion d’amour, de couple et de désir, notamment par le biais judicieux de la philosophie.
En effet, le choix du prénom de Sophia n’est pas anodin puisqu’il signifie “sagesse” en grec ancien et, associé à philos (“qui aime”), il forme le terme de philosophie : littéralement, “l’amour de la sagesse” ou “l’amour du savoir”. Sophia semble incarner les thèses philosophiques qu’elle enseigne à l’université : de Platon à Schopenhauer, en passant par Spinoza ou Jankélévitch, elle explique les théories de ces célèbres philosophes pour illustrer la pluralité de sens et de formes que recouvre l’amour, le tout en contrepoint du récit de l’aventure vécue par elle et Sylvain. Par les discours narrés par Sophia, Monia Chokri insiste particulièrement sur la distinction philosophique entre corps et esprit, pour montrer la tension que vit Sophia entre sa relation spirituelle avec Xavier d’un côté, et sa relation charnelle avec Sylvain de l’autre.
Avec Xavier, elle expérimente depuis une dizaine d’années un amour platonique, dégagé de tout désir physique, un amour chaste et intellectuel, sans doute causé par la routine quotidienne, mais dont elle s'accommode. L’amour qu’elle éprouve à l’égard de Xavier se caractérise par leur complicité et vivacité intellectuelles, et leur équilibre repose sur l’échange et le débat d’idées. Avec Sylvain, Sophia est dans l’amour passion décrit par Schopenhauer, qui se fonde sur l’instinct sexuel. Avec lui, elle écoute ses instincts et désirs, qui la poussent à se lancer à corps perdu dans une liaison torride qui l’anime plus que jamais.
Sans porter un regard moralisateur et sans juger de la légitimité d’un amour sur l’autre, Monia Chokri dépeint cette tension et pousse le spectateur à s’interroger sur sa propre conception du couple qui est, rappelle la cinéaste, une construction sociale ; un discours peu habituel dans les comédies sentimentales.
Un autre intérêt du film réside dans le point de vue féminin qu’il revêt, notamment à travers des scènes d’amour filmées du point de vue de Sophia avec sensualité et intériorité. Un point de vue féminin que l’on ne quitte d’ailleurs pas pendant toute la durée du film. En faisant le choix de ne pas montrer le corps nu de son actrice, la cinéaste déconstruit l’idée que seul le corps de la femme est sensuel et désirable. Elle préfère représenter Sophia comme un être désirant et non comme un objet désiré. Le regard du spectateur n’est plus tourné vers Sophia, c’est alors l’homme, incarné par Sylvain, qui devient cet objet de désir.
Toujours dans cette lignée novatrice qui propose de nouvelles représentations du désir, le film offre également un discours sur une nouvelle forme de masculinité, puisque le romantisme et la volonté de s’engager sont exclusivement exprimées par Sylvain : c’est lui qui souhaite épouser Sophia et fonder une famille à ses côtés. Est-ce que cela ne veut pas dire que les hommes sont aussi marqués par la vision idéale du couple ? Ou du moins que pour les classes sociales modestes, un couple équivaut à une famille et à un mariage ?
Plus encore, le film tient un discours féministe par la mise en lumière d’enjeux encore tabous auxquels font face les femmes, comme la pression sociale qu’il y a autour de la maternité. Là où Sophia n’exprime ni le désir, ni même le projet de devenir mère, c'est la société elle-même, à travers la mère de Xavier qui propose à Sophia des prénoms de bébés, qui lui fait subir la pression de l'horloge biologique.
Dès lors, Simple comme Sylvain n’est pas seulement une comédie divertissante, c’est aussi une comédie intelligente sur fond de chronique sociale. En plus de nous faire rire, le film propose de nouvelles représentations et de nouveaux discours, sur l’amour et le couple, la féminité et la masculinité. Notons pour finir que l’alchimie entre les acteurs est enivrante, que la mise en scène à l’esprit seventies est très soignée, et que le film nous fait redécouvrir le célèbre Still Loving You du groupe Scorpions à écouter sans modération !
SARAH DULAC MAZINANI