SISSI ET MOI - Frauke Finsterwalder
Au service de sa majesté
Quelques mois à peine après Corsage de Marie Kreutzer, l’impératrice Sissi est déjà de retour au cinéma dans un film signé par la cinéaste allemande Frauke Finsterwalder. S’il joue tout autant sur la modernité du personnage, Sissi & moi peint la vie de la plus célèbre des Autrichiennes à travers le regard fasciné de sa dame de compagnie, interprétée par l’incontournable Sandra Hüller. Un double portrait baroque et surprenant.
S’attaquer à l’histoire de l’impératrice Sissi, c’est toujours un petit challenge tant la vie de la princesse autrichienne a été mythifiée à l’écran sous les traits de Romy Schneider. Alors que faire pour aller au-delà de cette naïve image d’Épinal ? Moderniser cette incontournable figure historique est un objectif évident pour tout scénariste et/ou cinéaste souhaitant s’attaquer à ce sujet, idée à laquelle répondait récemment un autre film, Corsage de Marie Kreutzer - avec Vicky Krieps en princesse rebelle. Dans Sissi & moi, Frauke Finsterwalder s’applique à aller encore un peu plus loin en jouant la carte du portrait fantasmé. Si la réalisatrice s’appuie bien sur quelques faits et personnages historiques, son récit s’inscrit dès le départ comme un pur objet fictionnel. L’annonce est faite d’emblée via l’utilisation en ouverture d’un morceau de Portishead, rappelant à notre bon souvenir les anachronismes de l’extravagant Marie-Antoinette de Sofia Coppola (2006). Mais ici, ne cherchez pas robes et coiffures royales. La modernité se veut d’abord esthétique, avec des personnages habillés dans des tenues bohèmes et minimalistes. Mettre en scène notre chère Sissi en pull-over rayé, il fallait quand même oser ! Du côté du scénario, l’audace se trouve principalement dans le moment de sa vie que le film choisit de traiter. Frauke Finsterwalder ne s’intéresse qu’à une période courte et méconnue de la vie de l’impératrice : ses années de voyage loin de la cour de Vienne, entourée exclusivement de femmes. Un havre féminin plein d'ambiguïté, l’impératrice étant dépeinte comme une personnalité trouble. Une femme certes moderne, cherchant à échapper au poids des conventions sociales imposées à son rang, mais aussi dure avec celles qui l’entourent, en leur imposant par exemple dans leur assiette ses propres troubles anorexiques. Sa liberté et son insoumission face au monde patriarcal sont ainsi couplées à une certaine cruauté à l’égard de ses domestiques et de sa dame de compagnie Irma Sztáray. La dernière dame de compagnie de Sissi est en réalité, comme le nom du film l’indique, la véritable vedette du film. C’est exclusivement à travers son regard fasciné que l’on découvre le quotidien oisif de la tête couronnée. Si le personnage a existé, la version du film, précisons-le encore, n’a rien d’historique. Irma et Sissi avaient en réalité une trentaine d’années d’écart, mais la cinéaste réécrit ses caractères pour renforcer les effets de dualité dans la relation qui unit les deux femmes.
L’amie prodigieuse
Entre Sissi et Irma s’opère un intrigant jeu de troubles identitaires, la cinéaste interrogeant les rouages d’une amitié qui ne peut s’absoudre de la question de la domination sociale de la première sur la seconde. Irma accepte le job faute de mieux, sous la pression de sa mère, parce que « c’était soit ça, soit le couvent, soit le mariage », et se soumet dans un premier temps à un improbable entretien d’embauche, à base notamment de course à pied. Puis la fascination s’empare de la servante. Une attraction pour Sissi qui se transforme progressivement en un amour dévorant à sens unique. La géniale Sandra Hüller, quelque part entre gravité et burlesque, apporte toute son ambivalence au personnage d’Irma, prouvant au passage après Anatomie d’une chute et avant La Zone d’intérêt qu’elle peut briller dans tous les registres. C’est d’ailleurs sa deuxième incursion dans l’univers de Frauke Finsterwalder après Faux-fuyants, premier long-métrage de fiction de la cinéaste sorti en 2013. Face à elle, la charismatique Susanne Wolff ne démérite pas en Sissi excentrique. Dommage que la mise en scène ne suive pas l’originalité de ce jeu de dualité. Comme on le voit hélas souvent dans les productions allemandes contemporaines, l’esthétique très « télévisée » aplatit l’image. La beauté des décors, costumes et lieux visités, de Corfou à Alger, n'aident pas à faire abstraction des manquements formels. La longueur de l'œuvre, près de deux heures, empêche également d’adhérer totalement à une histoire qui aurait gagné à se resserrer, notamment dans sa première heure. N’en reste pas moins une curiosité qui assume son côté pop, portée par un duo de personnages féminins fascinants nous faisant voir sous un angle inédit l’image de l’impératrice Sissi.
ALICIA ARPAÏA