TEL AVIV-BEYROUTH - Michale Boganim
Guerre et Fatalité
Ce film aux allures raciniennes met en scène le caractère tragique de la guerre entre le Liban et Israël, et retrace la vie de deux familles à travers leurs destins d’ores et déjà condamnés. Sorti en DVD le 6 juin dernier, le film nous touche tant par sa poésie que parce qu’il est le fruit de l’histoire personnelle de sa réalisatrice, Michale Boganim.
Sans être autobiographique, c’est par le prisme de l’enfance que la réalisatrice introduit son sujet. La réalisatrice suscite ainsi chez le spectateur, le même sentiment d’incompréhension et d’injustice que ressentirait un enfant face à la guerre. Elle confiait lors du festival international du film de Tokyo en 2022 : “J’ai choisi ce sujet parce que je viens d'Israël et qu’il y avait la guerre avec le Liban (...) je voulais montrer comment la guerre impacte la vie des personnes des deux côtés de la frontière de générations en générations.” Née à Haïfa en Israël en 1977, Michale Boganim y vivra jusqu’à ses 7 ans avant d’immigrer en France avec sa famille. Elle consacre donc naturellement la première partie de ce récit à l’enfance du personnage principal Tanya, et à sa grande sœur, deux jeunes filles libanaises pendant la guerre. C’est la collaboration de leur père avec l’armée israélienne qui liera leur famille à celle de Yossi, un soldat israelien qui joue le rôle d’un oncle pour les fillettes. L’amour qui lie ces personnages, malgré la guerre, renforce le caractère tragique du récit : ils s’aiment alors que leurs peuples s’entretuent. Ce sentiment d’injustice ne quitte pas le récit puisque la mère de Tanya est tuée par l’armée israélienne, alors que son mari avait justement choisi de trahir son pays pour protéger sa famille. Une guerre injuste, qui tue l’enfance lorsqu’elle ne tue pas les enfants : cela marque la fin de l’enfance de Tanya. Partir de l’enfance, c’est aussi annoncer la trajectoire tragique de ces destins, jusqu’à la mort de certains personnages, et le désespoir d’autres.
Un scénario marqué par la fatalité
La suite du long métrage se concentre sur l’évolution du personnage Tanya à l’âge adulte, jusqu’à sa rencontre avec Myriam. L’une est libanaise et l’autre est française, venue construire sa vie de famille en Israël avec son mari Yossi. Elles sont deux femmes seules qui ont en commun de subir les engrenages tragiques causés par les décisions des hommes de leur vie : mari, fils, père. Lorsque le Liban est libéré, Tanya n’a par exemple d’autres choix que de suivre son père en Israël, tant ils risquent d’être condamnés ou pire, assassinés. C’est son pays, son amour et même sa vie, qu’elle doit abandonner ici. La rencontre de ces deux femmes marque d’ailleurs le point d’acmé de la fatalité du récit. Digne d’une tragédie classique, le long métrage s’ouvre sur l’une des dernières scènes du film où Tanya et Myriam sont toutes les deux en route à bord d’une voiture décapotable. Comme pour annoncer un destin que les personnages ne parviendront pas à éviter : l’une est à la recherche d’un fils probablement déjà tué, et l’autre amène des médicaments à un père mourant. La route qu’elles arpentent, quelque part entre Tel Aviv et Beyrouth, ne mènera nulle part : le sens de la vie en temps de guerre se portera toujours vers la destruction, peu importe leurs actions ou convictions.
Elles ne sont pas les seules à être guidées par une orchestration qui semble les dépasser. Tous les personnages sont contraints de prendre des décisions pour la collectivité. C’est le personnage de Yossi qui cristallise ces contradictions et semble toujours faire le pire choix : il manque la naissance de son enfant, laisse sa femme esseulée et fini par abandonner son plus vieil ami. Pire encore, il va inciter son fils à faire son service militaire duquel il décédera.
Tel Aviv-Beyrouth est un film difficile, dans lequel on savoure avec une attention toute particulière les moments de vie lumineux qui le traversent : des embrassades, des mariages, des naissances. À travers des draps blancs couleur ange, et sous le regard d’un chat tout aussi angélique, trois femmes dansent ensemble : une mère et ses deux filles. Comme pour créer elles-mêmes des éclipses de vie où plus rien n’existe, si ce n’est la lumière et le bonheur d’être ensemble.
VICTORIA FABY