WICKED: Partie Une - Jon M.Chu

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Defying Oz’s Gravity

Jon M.Chu (Crazy Rich Asians) réussit un véritable tour de force en adaptant sur grand écran le succès de Broadway : Wicked. Il livre une comédie musicale inclusive et grandiose où il travaille la figure éminemment politique de la sorcière prise dans le carcan du Bien et du Mal.

Au rayon des adaptations, je demande Wicked, comédie musicale à succès imaginée en 2003 par Winnie Holzman et Stephen Schwartz dont l'histoire s'inspire d'un roman de Gregory Maguire, Wicked : La Véritable Histoire de la méchante sorcière de l'Ouest (1996), lui-même réécriture du célèbre roman Le Magicien d'Oz (1900) de L. Frank Baum et du film culte du même nom de Victor Fleming (1939) qui faisait naître la star Judy Garland. Si la comédie musicale dure deux heures et demie (avec entracte), Jon M.Chu décide de diviser son film et n’adapte que le premier acte. La deuxième partie est prévue pour 2025. En étirant l’œuvre originale, il enrichit le background social et émotionnel de ses héroïnes, explorant plus minutieusement leur relation ambiguë. Ainsi, on découvre qu’avant la Méchante Sorcière de l’Ouest et Glinda la Bonne, il y eut Elphaba et Galinda, deux étudiantes en sorcellerie à l’université Shiz du Pays d’Oz. C’est précisément après la mort supposée d’Elphaba – donc chronologiquement à la fin du Magicien d’Oz – et la célébration de celle-ci à travers tout le pays que Glinda apparaît pour répandre la « bonne » nouvelle et faire régner de nouveau l’harmonie et l’ordre. Cette même Glinda plonge dans leur passé commun à la demande des Ozien·nes pour les éclairer sur la transformation « maléfique » d’Elphaba et entrouvrir l’une des questions fondatrices de cette relecture : les gens naissent-ils méchants ou la méchanceté leur est-elle imposée ?


En revenant aux « origines du Mal » comme le faisait Maguire puis le duo Holzman-Schwartz, Jon M.Chu choisi de faire briller la marginalité en réhabilitant une figure maléfique en héroïne incomprise victime de racisme et d’ostracisme de par sa différence, sa couleur de peau inhabituellement verte et sa puissance magique. Il travaille la figure subversive de la sorcière, qui depuis une dizaine d’années a été réhabilitée et beaucoup commentée dans les travaux féministes, à l’instar de Mona Chollet dans son essai Sorcières : la puissance invaincue des femmes (La Découverte, 2018). Le choix de la magnétique Cynthia Erivo, actrice noire et queer, n’est évidemment pas anodin tant il associe Elphaba a d’autres féminités marginalisées et peu explorées par les représentations cinématographique – sauf dans The Wiz, comédie musicale encore dérivée du Magicien d’Oz qui mettait en scène un casting exclusivement afro-américain, Diana Ross et Lena Horne en tête.

À l’image de la jeune Dorothy Gale qui parcourt le route de briques jaunes chaussée de ses souliers rubis en compagnie de ses acolytes le Lion, l’Homme de Fer et l’Épouvantail, Elphaba trouve progressivement une altérité complémentaire auprès de Galinda. Elles entament en duo un voyage vers la découverte de soi et l’acceptation des autres, gagnant au passage une amitié fusionnelle se substituant quasiment à une relation amoureuse normée. Chu redéfinit les contours des notions de bien et de mal au sein de l’histoire commune de ces deux étudiantes. Ainsi, la populaire Galinda (épatante Ariana Grande, dans une composition tout en drôlerie et en exagération) transcende sa bonté performative au contact d’Elphaba et Elphaba (impériale Cynthia Erivo, tout en justesse fébrile) apprend la confiance en soi au contact de Galinda. C’est main dans la main qu’elles défient les lois du Pays d’Oz et le Magicien, comme le feront par la suite Dorothy et ses amis.

There’s no place like home

Tout n’est pas rose au Pays d’Oz, où dans un décor sucré, l'autoproclamé Grand et Puissant Magicien a asservi toutes les populations sous couvert d’une magie véritable et sans limites qui, comme le découvrent Elphaba, Galinda puis Dorothy, n’est qu’une vile illusion. Sous cette poudre aux yeux, il déploie un régime autoritaire abominable où les existences non normées et les soupçons d’opposition politique sont sévèrement punies – certain·es critiques américain·es ont d’ailleurs fait un parallèle entre les thématiques du film, la figure affabulatrice et totalitaire du Magicien et la réélection de Donald Trump à la présidence des États-Unis et son agenda politique fascisant. Wicked se pose en conte émancipateur où les attaques discriminantes, qu’elles soient racistes, LGBTophobes ou validistes, sont renversées par la fierté d’être vraiment soi-même, touchant au passage des thématiques spécistes. Flirtant avec une esthétique camp et une lecture queer comme le fut « Le Magicien d’Oz et ses ami.es de Dorothy » ; expression qui fut inventée par la communauté gay comme un code pour trouver discrètement les siens et créer des safespaces/safeplaces.

Véritable réappropriation du film original sous un prisme queer où la métaphore du coming out s’incarne par la transition tempétueuse du Kansas rural en noir et blanc au monde flamboyant et technicolor d’Oz, où l’acceptation des différences des compagnons de voyage par Dorothy s’apparente à l’acceptation de sexualités stigmatisées avec la présence de Judy Garland dont l’interprétation de l’hymne Over the Rainbow cimentera son statut d’icône gay. Près de quatre-vingts ans plus tard, Wicked semble reprendre cette lecture et on peut interpréter entre les lignes de l’amitié queercoded d’Elphaba et Galinda la découverte d’une sexualité queer et la naissance d’une histoire d’amour contrariée. Chu atteint le rang d’orfèvre en dévoilant une réalisation spectaculaire et inventive où les numéros musicaux sont d’une vivacité et d’une vitalité contagieuse, rehaussés par un production design steampunk féerique. Celui qui a fait ses armes sur la franchise de danse Sexy Dance (Sexy Dance 2 et 3), et qui avait déjà adapté le travail de Lin-Manuel Miranda avec In the Heights (2021), excelle dans cet exercice franchement casse-gueule et obtient une comédie musicale survitaminée servie par un casting d’interprètes en très grande forme (Jonathan Bailey, Michelle Yeoh,Bowen Yang, Marissa Bode ou Jeff Goldblum), où l’alchimie du duo tragicomique formé par Cynthia Erivo et Ariana Grande fait des étincelles.


LISA DURAND

Wicked : Partie Une

De Jon M.Chu

Par Winnie Holzman, Dana Fox

Avec Cynthia Erivo, Ariana Grande-Butera, Jonathan Bailey

États-Unis, 2024

WICKED suit le parcours des sorcières légendaires du monde d’Oz. Elphaba, une jeune femme incomprise à cause de la couleur inhabituelle de sa peau verte ne soupçonne même pas l’étendue de ses pouvoirs. À ses côtés, Glinda qui, aussi populaire que privilégiée, ne connaît pas encore la vraie nature de son cœur. Leur rencontre à l’Université de Shiz, dans le fantastique monde d’Oz, marque le début d’une amitié improbable mais profonde. Cependant, leur rapport avec Le Magicien d’Oz va mettre à mal cette amitié et voir leurs chemins s’éloigner. Tandis que Glinda, assoiffée de popularité, se laisse séduire par le pouvoir, la détermination d’Elphaba à rester fidèle à elle-même et à son entourage aura des conséquences aussi malheureuses qu’inattendues. Leurs aventures extraordinaires au pays d’Oz les mèneront finalement à accomplir leur destinée en devenant respectivement la Bonne et la Méchante Sorcière de l’Ouest.

En salles le 4 décembre.

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