BYE BYE TIBÉRIADE - Lina Soualem
Récit et mémoire d’une lignée de femmes palestiniennes
À travers ce documentaire intime mêlant archives personnelles et historiques, la cinéaste Lina Soualem met en scène sa mère, la comédienne Hiam Abbass, et rend un sublime hommage aux femmes palestiniennes de sa famille pour préserver leur mémoire et lutter contre l'effacement du peuple palestinien.
Après Leur Algérie (2020), son premier film documentaire qui explorait l’histoire et l’exil de ses grands-parents paternels immigrés algériens, la cinéaste Lina Soualem puise cette fois avec brio dans ses racines maternelles palestiniennes avec Bye Bye Tibériade, son deuxième film documentaire qui dévoile, entre mémoires familiales et collectives, le portrait de quatre générations de femmes palestiniennes. Sélectionné en 2023 en première mondiale à la Mostra de Venise, au Festival International de Toronto, et au BFI London Film Festival, Bye Bye Tibériade est également nommé pour représenter la Palestine aux Oscars 2024.
Un portrait intergénérationnel de femmes palestiniennes
Le point de départ du film de Lina Soualem est celui d’une fille qui interroge sa mère, l’actrice Hiam Abbas, sur les circonstances de son exil, elle qui a quitté trente ans plus tôt son village natal palestinien près du lac de Tibériade, pour accomplir son rêve d’une carrière au cinéma. Devenue désormais l’actrice de renommée mondiale que l’on connaît à travers des rôles importants aussi bien dans le cinéma arabe (Satin rouge de Raja Amari, 2002, ou Les Citronniers d’Eran Riklis, 2008), que dans certains blockbusters américains (elle campait la répliquante Freysa dans Blade Runner 2049 de Denis Villeneuve, 2017), la comédienne Hiam Abbas accepte pour la première fois de s’éloigner de la fiction, pour jouer dans un documentaire et y d’incarner son propre rôle. Par souci de transmission, l’actrice accepte de retourner après trente ans dans son village de Dar Henna en compagnie de sa fille Lina, pour se dévoiler, parfois avec pudeur. Une mise à nu totalement émouvante qui raconte l’émancipation d’une femme restée attachée à ses traditions et à sa culture, mais retrace aussi l’histoire des femmes de sa famille, et de son pays.
Lina Soualem s’appuie notamment sur de nombreuses images d’archives personnelles capturées dès 1992, durant les étés passés en Palestine, par son père le comédien franco-algérien Zinédine Soualem. Au moyen de ces archives inédites, la cinéaste dresse le portrait de femmes inspirantes, fortes, et attachantes, desquelles se détachent deux figures importantes : l’arrière grand-mère Umm Ali, ainsi que la grand-mère institutrice Nahmat. Avec ce projet de retracer l’histoire de la famille, de réfléchir à l’exil et à la transmission, de redonner vie à ces femmes en convoquant leur mémoire et leur récit, Lina Soualem réussit l’exploit de redonner une voix et une histoire au peuple palestinien.
Mémoires intimes et collectives
Pour la cinéaste, historienne de formation, filmer l’intime lui permet en réalité de faire écho à un peuple tout entier et de raconter une histoire collective douloureuse. Le conflit israélo-palestinien fait partie intégrante de l’histoire des femmes de sa famille, ce qui lui permet de relier la petite histoire à la grande.
En s’appuyant sur un travail d’images et d’archives historiques remarquable, la cinéaste montre notamment l’exil forcé et commun des palestiniens lors de la Nakba en 1948, que son arrière grand-mère et sa grand-mère ont connu comme tant d’autres famille palestiniennes, séparées et dépossédées de tout du jour au lendemain après l’indépendance d’Israël. Pour Lina Soualem, ce travail rigoureux de capturer la mémoire avant qu’elle ne s’évapore, de parler de ces lieux menacés de disparaitre à tout moment, de documenter cette histoire collective douloureuse, répond à la nécessité de faire exister l’humanité du peuple palestinien, constamment nié et déshumanisé.
La cinéaste expose la nécessité de sa démarche en citant notamment les puissants mots du réalisateur chilien Patricio Guzman dont elle admire le travail, et qui a notamment beaucoup filmé son pays au moment de la dictature, à travers la citation suivante : « Un pays sans archives est comme une famille sans album photos ».
SARAH DULAC MAZINANI