ARISTOCRATS - Yukiko Sode

Destins croisés

Troisième long métrage de la réalisatrice japonaise Yukiko Sode, Aristocrats nous plonge dans la ville de Tokyo. Le film  adapte le best-seller écrit par Mariko Yamauchi et décortique avec une précision chirurgicale les mœurs et les classes sociales tokyoïtes de notre époque. Trois destins se croisent, dont les liens se créent par le hasard des rencontres et des relations inter-familiales. Le récit sonde le rôle de la femme dans cette société bien sous tout rapport, du monde bourgeois et politique de cette ville immense et dévoreuse d’âme. Mais surtout, c’est le lien entre femmes qui intéresse la réalisatrice, une sororité précieuse dans les méandres de relations arrangées et de la pression sociale.

Système de classe

C’est dans un milieu replié sur lui-même que débute Aristocrats dont le titre nous entraîne dans les vieilles familles bourgeoises de Tokyo. Hanako, la petite dernière de la famille, traverse Tokyo le soir du Nouvel An pour retrouver sa famille. Bien à l'abri dans l'habitacle de son taxi, le personnage ne se soucie pas du monde extérieur, elle a trop à faire avec ses pensées. Ce repli, elle l’a hérité de sa famille. Celle-ci se cache dans un box d’un hôtel pour fêter la nouvelle année, cocon luxueux. On ne les verra jamais à l'extérieur, tout comme la famille de son futur fiancé Koichiro. Pour asseoir leur richesse et leur autorité dans cette société éclatée socialement, il leur faut garder un territoire. Ainsi, à l’abri des regards indiscrets, ces familles ont la possibilité de perpétuer les traditions ancestrales. Il est alors impossible à Hanako de ne pas se marier, surtout quand l’une de ses grandes sœurs vient de divorcer. 

La mise en scène de Yukiko Sode joue sur l’immensité et le minuscule et trouve ainsi la symbolique de son récit. Ville immense, Tokyo avale la moindre vie arrivant en son sein. Hanako paraît minuscule dans cet univers trop grand, même sa bague de fiançailles glisse de son doigt. Pendant un instant, Hanako se perd dans l’immensité du coup de foudre. Cherchant ardemment un fiancé, qui contenterait sa famille et qui ne soit pas trop repoussant, elle arrive au rendez-vous arrangé par son beau-frère avec un air blasé qui ne la quitte pas depuis ses rencontres infructueuses. Bel homme, aristocrate, promis à un avenir politique, Koichiro a tout du prince charmant des contes. Dans la réalité cependant, le prince charmant a quelque chose à cacher. Son secret est une jeune femme, Miki, issue d’une famille précaire d’un milieu rural. Elle ne peut prétendre à pouvoir l’épouser et leur relation en dent-de-scie reste précieusement cachée à la famille de Koichiro. 

La sororité célébrée

Hélas, le récit n’est pas tendre avec Hanako et elle connaît vite la vérité sur la vie parallèle de son mari. Aristocrats ne verse pourtant pas dans le mélodrame, au contraire le film creuse d’autant plus son analyse des classes sociales et du rôle des femmes au sein de celles-ci. Contre toute attente, Hanako et Miki s’apprécient. Chacune possède quelque chose que l’autre voudrait à tout prix : la liberté d’épouser Koichiro d’un côté, l’absence du poids social de l’autre. Au fil de flash-back, l’histoire démêle les sentiments en creux de leur univers étriqué. La classe sociale des personnages délimite les émotions qu’ils peuvent ressentir. Miki, malgré ses difficultés financières, devient la seule à posséder une liberté propice à créer un avenir qu’elle aura choisi à cent pour cent. De leur côté, Hanako et Koichiro doivent se contenter d’un mariage sans alchimie et sans amour. 

Le cynisme s’installe peu à peu mais il est uniquement masculin. Yukiko Sode permet à ses personnages féminins de se détacher délicatement des carcans de leur classe sociale grâce à leurs amitiés. Aristocrats finit par se replier lui-aussi, tout comme les familles bourgeoises, dans ces amitiés où naissent ambitions et bonheur. Miki et Hanako y voient, toutes deux, le moyen de se fabriquer une nouvelle carrière et de jouir, enfin, d’une liberté financière et sociale. Dans un écrin de joie, les deux femmes entretiennent chacune une relation exclusivement féminine et trouvent enfin leur voie. 

Découpé en différents chapitres, Aristocrats ne livre pas facilement son propos. Yukiko Sode nous emmène d’abord dans le gouffre immense des castes tokyoïtes avant de célébrer dignement la sororité comme moyen d’émancipation totale. Le regard de fin révèle un autre gouffre, celui des stéréotypes de genre. Si les femmes trouvent le moyen de s’y dérober, non pas sans quelques sacrifices, les hommes restent, pour l’instant, sur le côté. 


Réalisé par Yukiko Sode

Avec Mugi Kadowaki, Kiko Mizuhara, ...

A presque 30 ans, Hanako est toujours célibataire, ce qui déplait à sa famille, riche et traditionnelle. Quand elle croit avoir enfin trouvé l’homme de sa vie, elle réalise qu’il entretient déjà une relation ambiguë avec Miki, une hôtesse récemment installée à Tokyo pour ses études. Malgré le monde qui les sépare, les deux femmes vont devoir faire connaissance.

En salle le 30 mars 2022

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