ROBUSTE - Constance Meyer

La Délicatesse

Le film nous promettait une rencontre au sommet, celle de deux acteurs, de deux corps et de deux générations. Il avait raison mais pas dans le sens qu’on avait initialement envisagé. C’est d’ailleurs pour le meilleur que le premier long-métrage de Constance Meyer ; après un court-métrage avec déjà Gérard Depardieu (Rhapsody, 2015), nous déboussole et nous balade vers l’inconnu soutenu par un rythme lent et entêtant.

Faux semblants

Aïssa, jeune femme agente de sécurité et lutteuse, rencontre Georges, vieil acteur mélancolique et désabusé, fatigué de « jouer le guignol ». Ce prémisse a tous les marqueurs d’un certain cinéma français où le vieil homme blanc grognon mais sympathique prend sous son aile la jeune banlieusarde noire paumée, pour l’aider à donner un vrai sens à sa vie – sous entendant évidemment dans un sommet de complaisance qu’elle passe forcément à coté, de cette vie. 

Rien de tout ça chez Meyer, qui nous fait une proposition plus complexe et rude. Son Aïssa est certes jeune mais elle sait qui elle est et n’a certainement pas besoin d’un mentor ou pire d’un sauveur. De son coté Georges semble au premier abord remplir plus facilement l’archétype évoqué plus haut, tant il épuise par ses caprices, ses extravagances et son quotidien hors-sol. C’est bien l’arbre qui cache la forêt et permet à Meyer de dérouler un portrait sensible de la persona publique  de Depardieu, en la synthétisant et en la mêlant a celle de Georges, ce faux alter-ego. 

Meyer fait partie des rares à réussir à le capter avec acuité, encapsulant parfaitement cet acteur lessivé de vivre mais trop effrayé pour mourir, comme Depardieu l’a lui-même exprimé lors d’une apparition télévisée récente, déchirante de solitude, pour la promotion du film. 

Elle accède à une exploration des facettes d’une vie dédiée au métier de comédien, où il traîne une carcasse de fantôme, sans jamais pourtant disparaître. Disparaître, il en serait incapable tant il incarne quelque chose à chaque mouvement de son jeu, à chaque respiration de sa voix. On aura jamais vu un fantôme aussi solide.

La place des corps

Si lui erre à travers sa vie ; lassé du monde, de l’abandon des êtres chers mortels et de l’avarice émotionnelle des autres ; ces étrangers cherchant à projeter sur eux-mêmes quelques paillettes de sa gloire usée. Elle, est le corps mouvant du film. Elle mène une existence simple et quotidienne avec un amour du travail bien fait. Elle est aimante mais pas dans une obligation salvatrice . Elle s’attache mais reprendra son chemin avec une légèreté en plus. On ne sera pas vraiment ce que Aïssa et Georges auront appris de cette rencontre mais on sera convaincu que quelque chose est resté ; peut-être le plus infime mais sûrement l’important.

En choisissant ces deux corps robustes et massifs, Meyer fait le pari d’un récit aux corps non-normés et offre une nouvelle perspective surtout avec Aïssa. Déborah Lukumuena est le diamant de ce film, solide et solaire. Elle incarne avec aplomb ce personnage neuf, droit et affirmé sur les différents plans de sa vie. Elle est un corps gros et noir, chose rare dans une industrie à la beauté et la sensualité standardisée. C’est le déploiement d’une féminité moins évidente mais présente, un corps désirant et sexualisé mais pas fétichisé. La réalisatrice offre d’ailleurs quelques scènes de sexe pudiques mais espiègles. Surtout elle suit ce corps dans tous ses états, dans l’effort comme dans l’intimité. 

La place de ces corps gros n’est pas stéréotypiquement cantonné à la violence ou à l’infantilisation et à la marginalité. Ils ne sont d’ailleurs pas non plus dépossédés de l’expression de leurs sexualités.

Duo gagnant

Il y a quelque chose de l’ordre de l’insaisissable dans ce duo, comme une autre fréquence à laquelle on aurait pas accès mais qu’on reçoit malgré tout. Chacun trouve sa place dans cette fine partition dépourvue de facilités. Le résultat est fascinant, on ne sait pas vraiment quoi faire devant cet objet cinéma dénué de complaisance, le rendant difficile à saisir et à aimer. La rythmique abrupte du récit infuse pourtant lentement et nous saisi pour ne nous laisser qu’en fin de course, le temps d’un au revoir et deux respirations nouvelles.


Réalisé par Constance Meyer

Avec Déborah Lukumuena, Gérard Depardieu, Lucas Mortier ...

Lorsque son bras droit et seul compagnon doit s’absenter pendant plusieurs semaines, Georges, star de cinéma vieillissante, se voit attribuer une remplaçante, Aïssa. Entre l’acteur désabusé et la jeune agente de sécurité, un lien unique va se nouer.

En salle le 2 mars 2022

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