OLGA - Elie Grappe

Un conflit de loyauté

On dit souvent que tout commence par une rencontre. Et dans le cas du jeune réalisateur lyonnais Elie Grappe, cet adage est vrai. En 2015, celui qui se réservait jadis à une vocation de trompettiste, fait la rencontre d’une violoniste ukrainienne. Elle lui raconte les plaies béantes d’une patrie en feu ; il lui germe une idée. Quatre ans séparent ce moment et la sortie en salles d’Olga, son premier long-métrage qui arrive comme une déflagration dans le paysage cinématographique franco-suisse.

Il porte le nom de son héroïne, interprétée par la merveilleuse Anastasia Budiashkina. Olga a quinze ans et une carrière prometteuse de gymnaste devant elle. Délaissant son Ukraine natale pour rejoindre la Suisse, le championnat européen et les Jeux Olympiques sont ses seuls objectifs. Mais nous sommes en 2013, et alors que l’adolescente trime pour réaliser ses rêves, une curieuse fièvre révolutionnaire s’empare du pays qui l’a vu grandir…

Qu’il s’agisse des répétitions de chant ou de danse, Elie Grappe s’est beaucoup intéressé à la poésie des corps et au va-et-vient permanent de l’art et du sport dans ses courts-métrages. Sous son regard attentif, la chair et le muscle se mettent en mouvement. Galbés ou ciselés, pétris de tension et de savoir-faire, ceux des athlètes d’Olga (qui sont toutes des sportives professionnelles et non des actrices) sont aux antipodes des représentations d’adolescentes auxquelles nous sommes habitués. Le film prend un véritable plaisir à capter la puissance de ses personnages ; elles fendent l’air et font trembler la terre quand elles chutent, un bruit qui, grâce à la minutie de la technique-son, nous rappelle celui d’une détonation… 

Cinq ans après les faits, Maïdan fait toujours aussi mal à ceux qui l’ont vécu, et le film y trempe les pieds avec beaucoup de pudeur, voire de prudence. Il préfère l’authenticité à la reconstitution, l’humanité brute et pixellisée des vidéos amateurs, qui envahit alors l’écran et l’imaginaire d’Olga ; nous découvrons à ses côtés l’effroyable guérilla urbaine qui oppose le peuple au bras armé de l’Etat. Ce procédé crée un sentiment de distance entre l’univers qui devient le nôtre et ces images spectaculaires. Une distance que nous partageons avec Olga, une distance qui rappelle l’exil. L’adolescente présente un cas flagrant de ce qu’on pourrait appeler la double-absence de l’immigrée : elle est suisse en Ukraine, mais ukrainienne en Suisse.

Traversé de part et d’autre par une bienveillance qui crève l’écran, Olga est un chef-d’œuvre de lyrisme. Son dénouement, rendu un peu frustrant par l’apparition soudaine d’une voix-off, ne saurait altérer l’étendue de sa portée ; et plus qu’une expérience esthétique prodigieuse, il soulève les bonnes questions. Le prétendu fossé entre le sport et la politique n’aura jamais été aussi mis à mal dans une fiction. Quand on réconcilie deux arts populaires, ça ne peut que faire des étincelles.


Réalisé par Elie Grappe

Avec Nastya Budiashkina, Sabrina Rubtsova, Caterina Barloggio...

2013. Une gymnaste de 15 ans est tiraillée entre la Suisse, où elle s’entraîne pour le Championnat Européen en vue des JO et l’Ukraine où sa mère, journaliste, couvre les événements d’Euromaïdan.

En salle le 17 novembre 2021

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