PASSION SIMPLE - Danielle Arbid

Femme (in)dépentante

L’amour au cinéma a presque toujours quelque chose de glamour, de beau, même dans la douleur. Une dispute, un pot de Ben & Jerry pour étouffer sa peine et ça repart. Dans le roman de Annie ErnauxPassion Simple, paru en 1992, l’autrice avait écrit un court texte où toute l’ambivalence de la passion amoureuse se dévoilait au travers des émotions de son héroïne. La vulnérabilité, le désir, l’attente. Des contradictions encapsulées dans un récit à la première personne, considéré comme inadaptable en l’état. Un défi dans lequel la réalisatrice Danielle Arbid s’est jetée corps et âme, réécrivant l’histoire seule pour étoffer l'héroïne rebaptisée Hélène. Laetitia Dosch lui prête ses traits, tandis que le danseur de ballet ukrainien/russe Sergeï Polounine (déjà aperçu dans Red Sparrow) interprète Alexandre, l’homme marié avec qui Hélène connaît une passion voluptueuse. 

Film d’amour, film d’emprise ?

« À partir du mois de septembre l’année dernière, je n’ai plus rien fait d’autre qu’attendre un homme : qu’il me téléphone et qu’il vienne chez moi. » La voix de Laetitia Dosch rythme le début du film. Une voix résolue, cassée, un constat de ces derniers mois de bonheur et de souffrance mélangée. Son visage prend tout le cadre, un gros plan de la peau diaphane de Hélène. Son regard est fixé sur quelqu’un ou quelque chose d’intangible, de flou, d’inatteignable. Les sons des rues de Paris sont comme étouffés. Hélène est hors du temps, hors du récit. Elle tourne enfin les yeux et s’en va, le son des voitures devient alors assourdissant, le film commence. 

Un film d’amour, un film d’emprise ? Danielle Arbid tranche, c’est un film qui rend hommage à l’amour sous toutes ses formes, aux amoureux‧ses. Pourtant, la dynamique de ce couple adultère est à sens unique, Alexandre se manifeste quand il veut, Hélène l’attend. Divorcée, mère d’un adolescent de treize ans et doctorante en poésie, elle se laisse aller à la fièvre dévorante de leurs ébats. Danielle Arbid n’édulcore pas ces séquences, au contraire. Le sexe rythme le montage, scènes érotiques, fièvreuses, empressées, exposant parfaitement deux êtres avides du corps de l’autre. Pas de pudeur, ni de caméra statique. Le regard de la cinéaste explore le corps de ses acteur‧trices, la caméra bouge avec eux pour aller au plus près de cette fusion sensuelle. Si le parti pris est osé et pertinent avec la volonté de la réalisatrice de dévoiler la complexité de leur histoire, les scènes ne se départissent pas d’un ton voyeur, leur répétition entraînant une sensation de catalogue, un guide du kamasutra pour débutant. 

L’amour que met en lumièrePassion Simple est dévorant, obsessionnel. Alors qu’Hélène semble gérer sa situation, celle de la maîtresse qui attend le bon vouloir de son amant, le personnage glisse au fur et à mesure vers un abandon d’elle-même, de sa vie quotidienne. Les absences prolongées d’Alexandre (partit en vacances avec sa femme) la plonge dans un vide monstrueux. Son portable est maintenant scotché à sa main, elle n’arrive plus à s’occuper de son fils, à écrire sa thèse. La mise en scène donne à cette absence la sensation d’un manque douloureux, telle une drogue. Hélène est filmée dans une atmosphère cotonneuse, là sans y être, perdue, en train de lâcher prise. La simplicité annoncée par le titre nous semble ironique. Cette passion est au contraire un raz-de-marée dans la vie de cette femme quarantenaire. Ces moments de vide sont sûrement les séquences les plus réussies, mettant en avant le talent de Laetitia Dosch, qui avec ce rôle, donne une prestation viscérale d’une grande qualité. 

C’est dans cette dilatation du temps, dans la douleur de l’attente quePassion Simple arrive à tenir en haleine un‧e spectateur‧trice fébrile de voir l'héroïne plongée dans la dépendance affective. Le film devient presque un film horrifique, avec la figure dangereuse d’Alexandre (dont son interprète, Sergeï Polounine, est nommé “l’enfant terrible du ballet”) qui hante le cadre à chaque instant. 


Réalisé par Danielle Arbid

Avec Laetitia Dosch, Sergei Polunin...

"À partir du mois de septembre l'année dernière, je n'ai plus rien fait d'autre qu'attendre un homme : qu'il me téléphone et qu'il vienne chez moi. Tout de lui m'a été précieux, ses yeux, sa bouche, son sexe, ses souvenirs d’enfant, sa voix..."

En salle le 11 août 2021

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