FREMONT - BABAK JALALI
À la recherche de l’amour dans un biscuit chinois
Syndrome du survivant, isolement et déracinement, dans Fremont, Babak Jalali dresse un constat poétique et non-stigmatisant sur l’immigration.
Dans la petite ville de Fremont près de San Francisco, Donya, jeune réfugiée afghane de 20 ans, travaille pour une fabrique de fortune cookies, ces biscuits chinois porte-bonheur qui renferment sur un morceau de papier une prédiction ou un conseil. Ex-interprète pour l’armée américaine en Afghanistan, Donya, rescapée du régime taliban, est en proie à de lourdes insomnies et une grande solitude. Néanmoins, son quotidien monotone prend une nouvelle tournure lorsque son patron lui confie la rédaction des messages de prédiction et qu’elle décide un jour de glisser dans un des biscuits une invitation à la rencontrer.
Récompensé d’un Prix du jury lors du 49ᵉ festival de Deauville, Fremont est le quatrième long-métrage du cinéaste irano-britannique, sensible aux sujets des minorités et de l’immigration. Dans ce film, Babak Jalali dresse le portrait original et poétique de Donya, fraîchement installée dans la ville de Fremont aussi surnommée “Little Kaboul” car elle abrite l’une des plus grandes communautés d’Afghans aux États-Unis.
Si le film montre la difficulté de s’intégrer à travers l’isolement – que l’on ressent bien à l’écran grâce à l’utilisation de plans serrés — mais aussi le sentiment de culpabilité d’avoir survécu au régime des talibans, ou encore les insomnies que vit Donya dans son nouveau pays d’accueil, Fremont donne surtout avec beaucoup de justesse, de bienveillance, et d’espoir, un visage aux réfugiés du monde entier, loin du cliché stigmatisant et victimisant habituel – comme en témoignent les propos du cinéaste :
« La décision de faire du personnage principal une femme a été influencée par une perception généralisée, ou plutôt erronée, des femmes afghanes. Dans les médias, elles sont souvent présentées comme des victimes, avec peu d'autonomie et de détermination. La réalité est tout autre. Il était également très important pour Marjaneh Moghimi, la productrice initiale du film, (…) que nous soulignions le refus de notre personnage principal de se conformer aux stéréotypes. » [Source : Medium]
On le voit dans le film, Donya assume sa solitude, c’est une jeune femme débrouillarde et indépendante, dont les nombreuses réparties reflètent sa force de caractère, et malgré ses difficultés à s’adapter à son nouvel environnement, elle demeure pleine d’assurance et de volonté. Par ailleurs, si le film nous plonge dans une mise en scène épurée et minimaliste, à l’ambiance contemplative et mélancolique accompagnée de plans fixes et des sonorités jazzy, il n’est pas pour autant dénué d’humour avec sa galerie de personnages insolites, ni de romance. À travers sa rencontre inattendue avec Daniel, un jeune mécanicien introverti et attachant qu’elle rencontre par hasard sur la route, le destin offre à Donya la possibilité, sinon l’espoir de se construire une nouvelle vie, plus épanouie, dans ce nouveau pays.
Fremont, dont l’élégante photographie en noir et blanc et l’exquise ambiance rétro, qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler le cinéma indé de Jim Jarmusch, est un petit bijou envoûtant et original qui raconte l’espoir face à l’exil, dans l’Amérique actuelle, avec simplicité et dignité.
SARAH DULAC MAZINANI