ENTRETIEN AVEC MÉLANIE AUFFRET - Les Petites victoires

 Auréolée du Prix spécial du Jury et du Prix du public au Festival international du film de comédie de l'Alpe d'Huez 2023 et à l’occasion de la sortie en salles, la semaine dernière de son deuxième long métrage Les Petites Victoires, on a rencontré sa réalisatrice, la talentueuse et dynamique Mélanie Auffret. On est revenu ensemble sur sa jeune carrière prometteuse, son amour des héros du quotidien et sa folle tournée sur les routes des campagnes françaises.

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Sorociné : Est-ce que tu peux rapidement revenir sur ton parcours pour nos lecteur.rices ?

Mélanie Auffret : Bretonne, je suis arrivée à Paris à vingt ans. Mes parents n’étant pas dans le milieu du cinéma [son père travaille dans les assurances et sa mère est enseignante, NDLR], ils avaient peur de mon choix. Le compromis était donc d’obtenir un diplôme avant, histoire de pouvoir retomber sur mes pattes. J’ai donc fait des études de commerce jusqu’au bout avant de monter à la capitale. À Paris, j’ai commencé par des cours de théâtre et pas convaincu et j’ai décidé d’aller à la fac. C’est là que j’ai participé au Festival Génération Court en 2013 avec le court-métrage Le Temps d’une comédie (co-réalisé avec Chloé Léonil). C’est grâce à ce prix du meilleur scénario que j’ai pu avoir une bourse d’étude à EICAR (école supérieure des métiers de l’audiovisuel).

S : C’est donc là que tout à commencé pour toi ? Après tes études en cinéma ?

M.A : Pas exactement. J’ai toujours aimé dépanner les copains. La pote qui se pointe à dix heures du matin sur un parking paumé un dimanche pour t’aider à charger du matériel ciné, c’est bien moi ! Un jour, un copain de fac cherchait un stagiaire pour un film (docu-fiction) de Patrice Leconte qui s’appelait L’Envers du rêve. Le film prendra le titre définitif d’Une Nuit au Grévin (2015). C’était mon premier pied sur un plateau professionnel de cinéma. J’ai rencontré Claude Guillouard (assistant réalisateur), mon chef sur ce projet, qui par la suite m’a refait travailler. Je le salue d’ailleurs. J’ai commencé à faire du renfort régie et mise en scène sur d’autres projets, Un Sac de billes (2017), Ma Loute (2016), Dalida (2016), Papa ou Maman 2 (2016) et la partie repérages sur Jeannette, l’enfance de Jeanne d’Arc (2017). En parallèle, mon court métrage de fin d’études Sois heureuse ma poule arrive en 2016. Il a une vie en festival assez dingue, jusqu’à se retrouver à l’Alpe d’Huez. C’est vraiment le festival qui a changé ma vie ! Dans la salle, il y avait les producteurs d’Intouchables (2011), Nicolas Duval-Adassovsky et Foucauld Barré de Quad Films, qui m’ont repérés. Ils ont tout de suite voulu que je développe mon format court en long métrage. J’ai halluciné ! On s’est revu plus tard, je n’y croyais toujours pas. Je sortais de l’école, tout juste diplômée et je ne savais pas écrire de long. Je suis très superstitieuse donc j’ai gardé cette énorme nouvelle pour moi et je suis retourné en Bretagne dans ma famille, chez mes amis et je me suis mis à travailler. 

S : C’est ce retour aux sources qui a fait naître Roxane [son premier long-métrage, NDLR] ?

M.A : C’est surtout ma rencontre, clé, avec un vieux monsieur, qui m’a fait découvrir l’idée fondatrice du film . Il m’a révélé son secret le plus enfoui et ça m’a beaucoup ému. Ce monsieur, agriculteur et éleveur de métier a depuis toujours une passion pour la pièce de théâtre Cyrano de Bergerac (d’Edmond Rostand) et la récite à ses vaches tous les jours. Il sentait que ça rendait ses vaches heureuses et que lui aussi ça le rendait heureux. Il se sentait libre et surtout pas jugé par les regards des autres.

Les vaches sont devenues des poules et quand je suis arrivée chez Quad Films, j’ai rencontré Michaël Souhaité, qui devait m’aider pour développer le scénario. Il est devenu mon co-auteur. On a vite eu une alchimie évidente et cette collaboration géniale continue sur Les Petites Victoires.

Roxane - Copyright Mars Films

S : En temps que jeune réalisatrice, comment as-tu vécu l’expérience de ce premier film ? Est-ce que ton statut de jeune femme t’as fait du tort en terme de légitimé dans l’industrie ?

M.A : Je ne devais pas réaliser Roxane au début. Je l’ai écris avec mon co-auteur Michaël (Souhaité) et j’ai suivi son évolution. Je n’ai su qu’au rendu de la version 2 du scénario, que je le réaliserai. J’étais euphorique ! J’en profite d’ailleurs pour dire que j’adore mes producteurs. On est une vraie équipe et leur objectif est vraiment de me donner les meilleures conditions pour faire le film dont j’ai envie.

Pour revenir à ta question, on a jamais douté de moi en tant que réalisatrice. Je pense que ça dépend vraiment de comment tu arrives avec ton projet. Je ne suis pas la personne qui a le plus confiance en elle mais quand tu as tellement de gens à convaincre, tu dois te convaincre toi-même d’abord. Si tu as cette conviction, tout le monde te suit. Cette auto-persuasion, c’est comme un bouclier ! Dans mon cas, je dirais même qu’être une jeune femme a été ma plus grande chance car j’étais déterminée et mon équipe m’a suivie. Je pense qu’avoir pas mal travaillé sur les plateaux de tournage en tant que technicienne, m’a aidé sur le plateau de Roxane. Je ne me suis pas sentie perdue même si c’était mon premier long métrage. S’il y a eu des « mauvaises rencontres » sur mon parcours, elles n’ont rien influencé, ne m’ont pas atteintes personnellement et surtout elles n’ont pas duré.

S: Faire un deuxième film, c’est vraiment plus difficile ?

M.A : Mes producteurs ont été très élégants et trois mois avant la sortie nationale de Roxane, ils se sont engagés à produire mon deuxième long métrage. Malgré cette garantie, c’est dur de se lancer sur le film suivant. Après Roxane, j’ai eu un coup de mou, je me suis posé plein de questions et j’ai souffert d’un gros syndrome de l’impostrice. Mes producteurs m’ont une fois de plus tendu la main et ils m’ont accompagné dès le début . On a brainstormé ensemble et c’est là que m'est venu l’idée pour entamer l’écriture des Petites Victoires.

S : Quelle est la genèse des Petites Victoires ?

M.A : J’étais tombée sur un article de presse où des classes d’une école en l’Isère étaient menacées de fermeture car elles manquaient d’élèves. Pour pallier ce manque, le maire du village avec la complicité d’un groupe de parents d’élèves avait inscrit des moutons comme élèves et ça avait marché. J’ai trouvé ça humainement génial et ça avait des accents de comédie. Je savais que je voulais traiter de la désertification des territoires en France. J’ai donc remplacé les moutons par des personnes qui voulaient retourner à l’école pour apprendre à lire et à écrire. J’en ai donc tiré mes deux thèmes, l’illettrisme et le rôle des maires dans les petites communes françaises. Presque à la manière d’une journaliste, je me suis lancée dans une grande enquête, je suis allée à la rencontres des maires et des habitants. Une fois cette longue période de recherche assez aboutie, j’ai tout mis en commun avec Michaël (Souhaité) pour développer le scénario.

S : Ton film n’est pas du tout construit comme une relation d’apprentissage ce qui est plutôt classique en comédie française avec un duo jeune-vieux, c’est plutôt un buddy-movie (l’équivalent du film de potes en français) ?

M.A : Oui on est totalement dans les codes du buddy-movie. Si on reprend le script, on constate que d’une scène à l’autre, Émile apprend d’Alice et vice versa. Ils sont sur un pied d’égalité. L’histoire du périmètre du film (Émile est un sexagénaire illettré et à un périmètre connu qu’il ne peut pas dépasser, ne pouvant pas lire les panneaux de signalisation) est quelque chose que les personnes en situation d’illettrisme m’ont raconté. D’ailleurs, le périmètre prend une autre dimension pour les personnages du film et même  pour nous tous. C’est ensemble qu’Alice et Émile explosent ce périmètre, cette zone de confort. C’est ensemble qu’on se sort de nos conforts et qu’on va plus loin. Julia (Piaton) et Michel (Blanc) ont été formidables. Ils s’étaient croisés sur un tournage commun mais n’avaient jamais eu l’occasion de travailler ensemble. Ils ont développé une vraie camaraderie. J’avais vraiment envie de ces deux héros du quotidien. Michel (Blanc) était très enthousiaste pour Julia (Piaton) dont c’est le premier, premier rôle sur un long métrage. 

Les Petites victoires - Copyright ADNP - Zinc - France 3 Cinéma - Photo Stéphanie Branchu

S :  Alice est un personnage très actuel ? Quand tu l’as écrit, est-ce que tu avais en tête des problématiques de charge mentale et ou de complexe de la sauveuse, qui sont évoquées par ton film ?

M.A : C’est fou, les gens me disent qu’elle est proche de moi (rires). Je ne m’en rends pas bien compte. Elle a été là plus dure à écrire et à comprendre. J’ai mis du temps à trouver ses failles même si elle est traversée par des problématiques très actuelles. Je voulais raconter une jeune femme déterminée, qui a du caractère, indépendante, célibataire qui n’est pas dirigée par une quête romantique (pour une fois !) mais qui est plutôt dans une quête d’elle-même. Je n’ai pas écrit Alice avec des problématiques genrées et de charge mentale en tête. Je pense que comme ton observation, ce sont rétrospectivement les retours des spectateur.rices et des critiques qui font ressortir ces thèmes. J’ai voulu mettre en lumière le travail de ces maires, véritables couteaux suisses, qui sont des héros du quotidien.

S : Le film est en salles depuis le 1er Mars 2023 mais tu as effectué une longue tournée d’avant-premières à travers les villes et les petites communes de France. C’est plutôt inédit comme parcours. D’où t'est venue cette idée ?

M.A : J’ai commencé ma tournée le 24 septembre 2022 et j’ai fait une centaines de dates à travers la France. C’était une idée un peu folle de ma part. Au montage du film, j’ai émis le projet de faire une tournée à vélo (comme Alice, elle adore se déplacer à vélo) pour projeter le film à la manière d’un cinéma itinérant. Mes producteurs sont revenus vers moi et m’ont proposé une alternative plus réaliste : faire ces projections dans des coins de la France pas habitués aux avant-premières. J’ai dit Banco !  D’ailleurs certaines communes reculées n’avaient pas de cinémas et on a mis en place avec des structures des séances de ciné mobiles (camions aménagés en salle de cinéma). C’était hyper émouvant. Des amis qui ne s’étaient pas vu depuis dix ans ; car ils habitent à trente bornes l’un de l’autre et ont des vies d’exploitants agricoles, ont pu se retrouver et partager un moment de convivialité et de rire. Un monsieur adorable, lui, s’était carrément mis sur son trente-et-un car c’était sa toute première séance de cinéma. J’ai vécu des moments incroyables !

J’avais vraiment la volonté de venir au contact des gens. On parle aujourd’hui de maintenir les services de proximité. Moi, je crois qu’il faut aussi maintenir la culture de proximité. Il faut aussi encourager les gens à faire les choses ensemble, à vivre ensemble surtout après tout ce qu’on a vécu ces dernières années. C’est important de parler aux gens et de maintenir la culture et le cinéma comme des expériences collectives. J’ajoute aussi qu’il est capital de dire que faire du cinéma, c’est une expérience collective. C’est mon nom sur l’affiche mais je ne suis pas grand chose sans tous mes technicien.nnes, mon équipe de tournage, de production, mes distributeurs et mes comédien.nnes .

S: Tu traites de désertification sur nos territoires mais toi quel lien tu entretiens avec le monde rural ?

M.A : J’ai grandi à Plescop (Morbihan) à côté de Vannes, mais je n’ai pas fait mes recherches qu’en Bretagne. J’ai rencontré des personnes en situation d’illettrisme et des maires partout en France. Je ne voulais pas que cette histoire sonne régionale . Je voulais qu’elle soit universelle à nos campagnes françaises. Je ne sais pas si j’ai encore plein de choses à dire sur la ruralité mais j’adore ces rapports et ce qui s’y passe. J’aime cette authenticité. C’est important de raconter les rapports humains au cinéma, de montrer qu’il y a de la vie et des choses positives. C’est une comédie où on ne se moque jamais. On rit avec tous ces personnages, que j’aime profondément. J’aime les rapports authentiques ! Nos campagnes ont une histoire et une âme. 

Pour la petite anecdote, on avait une réplique qu’on a du couper au montage qui résumait bien la teneur du film. Un personnage disait «  Le collectif triomphe toujours ! » et le personnage de Bruno disait «  Ah ! Euridipe? » et l’autre répondait « Non. Aimé Jacquet, 1998 ! »




Propos recueillis par Lisa Durand, mars 2023.

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