JULIE (EN 12 CHAPITRES) - Joachim Trier

Tout feu tout femme

Il fallait bien 12 chapitres, en plus d’un prologue et d’un épilogue, pour raconter Julie et ses mille vies. D’abord étudiante en médecine, puis en psychologie, elle se tourne finalement vers la photographie, mais pourrait aussi bien être écrivaine ou journaliste. Julie aime Aksel mais il est plus âgé et veut des enfants, alors elle pense à Eivind, rencontré à une fête. Un personnage de femme trentenaire jamais pleinement satisfaite, qui souhaite assouvir un désir insatiable. Incarné par la révélation Renate Reinsve, prix d’interprétation féminine à Cannes, Julie enchante et séduit par son feu sacré. 

Cinquième film de Joachim Trier, Julie (en 12 chapitres) pourrait bien être le pendant féminin et lumineux de sonsecond long-métrage, Oslo 31 août. Même décor (Oslo, donc), même personnage trentenaire qui se cherche, mêmes fêtes nocturnes se terminant au petit matin, même mélancolie du personnage principal. On retrouve dans les deux films l’acteur Anders Danielsen Lie, sorte d’alter ego du réalisateur. Mais quand Anders sombrait dans la dépression, Julie rejette la tentation de la mélancolie et croque la vie à pleines dents. Quand Oslo 31 août tendait vers le drame - puisqu’après tout, c’est une adaptation de Feu follet de Pierre Drieu La Rochelle -,Juliefait rire et éblouit. Et quel bonheur de retrouver Joachim Trier dans un environnement où on le sent tout à son aise, dans sa ville, filmant des personnages qu’il connaît bien. 

Sans aucun doute, ce nouveau film démontre l’envie du réalisateur norvégien de raconter un autre point de vue et de filmer un récit féminin. Celui qui affirme “Je ne suis évidemment pas une jeune femme de 30 ans, mais je me suis autorisé à devenir une telle jeune femme pendant quelques mois de ma vie et c’était libérateur” a-t-il pour autant réussi son pari d’adopter un female gaze ? De prime abord, il est tenu haut la main. Dans une rare scène de sexe, la caméra adopte le point de vue de Julie, qui regarde le corps de son partenaire, et notamment ses fesses, vision qui l’excite et la réjouit. Autre scène mémorable lorsque Julie demande à un ami d’Aksel pourquoi elle est au courant de tous les problèmes masculins, que ce soit les problèmes d’érection ou d’éjaculation précoce, quand personne n’évoque jamais les sujets féminins que sont les règles, les femmes fontaines ou le plaisir féminin. Elle conclut alors avec ce constat, mi-comique mi-désolant : “Si les hommes avaient leurs règles, on en entendrait tout le temps parler”. Suite à cette observation faite en début de film, Joachim Trier décide donc d’adopter le point de vue d’une jeune femme blanche et citadine, et des problèmes qui se posent à elle. Car derrière sa légèreté et son élan pour goûter aux plaisirs de ce monde, Julie est une femme qui doute, ne souhaite pas devenir mère et est tentée par l’infidélité.

Le film regorge d’inventions formelles qui donnent à voir l’esprit de Julie, qui souhaiterait vivre mille vies plutôt qu’une. La plus belle d’entre elles est sans doute un arrêt sur image et dans le temps, lorsqu’elle traverse la ville en courant, tout sourire, pour retrouver son futur amoureux Eivind. Dans cette parenthèse enchantée, où le fantasme devient réalité, Julie prend le contrôle de son désir et de la fiction. C’est là un des traits les plus époustouflants du film, cette maîtrise soudaine du personnage sur le récit du film et celui de sa vie. Car le film interroge le rapport au temps, qui pèse le plus souvent sur les femmes. Passé le cap des 30 ans, Julie subit la pression sociale, se devant d’avoir trouvé un métier stable et d’être prête à devenir mère. Sans la nommer, Trier aborde la fameuse “horloge biologique” qui n’existerait que pour les femmes. En cela, Julie incarne ce refus de la maternité et de se poser. Dommage que le récit, à la fin du film, se décentre de son personnage pour s’arrêter un peu trop longtemps sur Aksel, qui regrette que le monde dans lequel il a grandi, celui des librairies d’occasion et des vidéoclubs, n’existe plus. 

Malgré cette irruption soudaine de la mélancolie dans le film, Julie (en 12 chapitres) est un film séduisant, à l’image de son personnage. En cela, elle pourrait être la cousine d’un autre personnage léger et ardent, aperçu sur les écrans il y a seulement quelques semaines : Anaïs, du filmLes amours d’Anaïs, de Charline Bourgeois-Tacquet. Deux portraits de femmes des années 2020 refusant la gravité de l’existence et qui choisissent d’en profiter le plus possible, quitte à paraître inconséquentes. Pourquoi choisir entre rêve et réalité, entre vie et fiction, quand les deux peuvent cohabiter ?


Réalisé par Joachim Trier

avec Renate Reinsve, Anders Danielsen Lie, Herbert Nordrum

Julie, bientôt 30 ans, n’arrive pas à se fixer dans la vie. Alors qu’elle pense avoir trouvé une certaine stabilité auprès d’Aksel, 45 ans, auteur à succès, elle rencontre le jeune et séduisant Eivind.

En salles le 13 octobre 2021

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