LES FEMMES AU BALCON - Noémie Merlant
Copyright NORD-OUEST FILMS - FRANCE 2 CINÉMA
Bande de filles
La lutte contre le patriarcat revêt sa tenue la plus sanglante sous la direction de Noémie Merlant. L’actrice-réalisatrice exorcise les traumas des VSS dans un film de copines décomplexé où ses héroïnes ne s'excusent jamais. Inégal, mais cathartique.
On pourrait presque croire que c’est un effet de mode. Depuis plusieurs mois, nombre de projets étiquetés “film féministe/toutes unies contre le patriarcat” déferlent dans les salles, avec de bonnes intententions et un budget confortable – on pense évidemment au Barbie de Greta Gerwig. Les Femmes au balcon, deuxième film de Noémie Merlant en tant que réalisatrice, s’inscrit dans cette démarche, prêt à distribuer une bonne leçon de féminisme à ses spectateurs, en s’appuyant ici sur une déconstruction du « rape and revenge ». Nous sommes à Marseille. Il fait très chaud, d’où les tenues légères de nos héroïnes, jamais sexualisées. Élise (Noémie Merlant, qui s’offre un rôle comique dans la lignée de L’Innocent), comédienne mariée au bout du rouleau, débarque chez ses copines Nicole et Ruby (Sanda Codreanu et Souheila Yacoub) comme on s’accroche à une bouée de sauvetage. Au cours de la soirée, les trois filles lorgnent le voisin d’en face (Lucas Bravo, le french cuistot d’Emily in Paris). Celui-ci les invite à prendre un verre jusqu’à ce que tout dérape. Ruby subit un viol et tue son agresseur en se défendant. Ensemble, les trois jeunes femmes vont devoir gérer ce cadavre dans le placard, point de départ pour chacune d’entre elle d’une libération féministe.
Après un départ tonitruant, avec une scène d’ouverture osée mettant en scène le meurtre d’un mari violent par son épouse, le scénario s’enfonce hélas dans un déroulé un peu programmatique, s’éparpillant quand les héroïnes se séparent dans la seconde moitié du film. La finesse n’est pas de mise avec un surlignage parfois un peu grossier des intentions de la réalisatrice. En tête, l’arrivée de Merlant/Élise habillée en Marilyn Monroe, avec tout ce que cela convoque de l’imagerie de la femme objet hollywoodienne. Sur la liste des représentations « female gaze », les cases se cochent les unes après les autres, presque trop rapidement : nudité revendiquée, polyamour, travail du sexe, oppression conjugale, masturbation, violences sexuelles, avortement mais aussi, plus originales, éjaculation féminine, crise d’angoisse et aérophagie. Pourtant, pour nous, le pari de Noémie Merlant est plutôt réussi. Car derrière tous ces artifices, il y a un pur plaisir de spectatrice à voir ces femmes prendre tout l’espace, parler fort, s’autoriser à être vulgaire et s’unir pour aller chercher collectivement leur émancipation.
Copyright NORD-OUEST FILMS - FRANCE 2 CINÉMA
Punks à paillettes
Défini par sa réalisatrice comme « une farce punk », Les Femmes au balcon s’avère réjouissant dans sa manière de mêler rire, gore et sororité pour faire face aux traumatismes provoqués par les violences sexuelles. Un vrai film de bande au féminin, comme il y en a finalement assez peu au cinéma si on y réfléchit bien, où aucun conflit ne vient entraver l’amitié des personnages. Ce sentiment de voir une œuvre de « copines » découle directement de la production du projet, Noémie Merlant s’étant entourée à l’écriture d’une collaboratrice de confiance (Céline Sciamma, sa réalisatrice de Portrait de la jeune fille en feu), et donne la réplique à sa meilleure amie Sanda Codreanu, avec qui elle partagea un temps, comme dans le film, un appartement. Car derrière la mise en scène pop et colorée, empruntant pêle-mêle à Alfred Hitchcock, Pedro Almodóvar et Vera Chytilová pour les influences revendiquées, avec même une pointe de fantastique, Noémie Merlant fait aussi son autoportrait. Le fameux voisin d’en face exerce ainsi le métier de photographe, évoquant la figure d’un agresseur passé dont l’actrice-réalisatrice a déjà parlé dans la presse. Une manière de poursuivre de manière plus inspirée le travail initié par Mi iubita mon amour, premier film naturaliste où on suivait déjà la comédienne et ses copines.
Mais au-delà de la sororité et des punchlines rigolotes, c’est dans ces scènes les plus dramatiques que ces Femmes au balcon nous interpellent finalement le plus. Si le viol de Ruby et sa violence échappe à notre regard, Noémie Merlant a choisi de représenter dans la longueur la banalité d’un viol conjugal. Ici, pas de coups ou de cris, mais une image réaliste où l’homme n’est pas représenté comme un monstre. C’est une personne banale qui n’a pas conscience de la violence et de l’emprise qu’il exerce sur l’autre, face à une femme qui cède devant le risque de la perte de son couple. Le deuxième geste à retenir du film intervient en conclusion. (Attention spoiler) Quand le fantôme du violeur avoue à Nicole, et à nous face à l’écran, « Oui, j’ai violé ta copine », quelque chose de révolutionnaire s’opère à l’image. Un aveu sentencieux qu’il nous semble entendre pour la première fois dans un film. Une poignée de mots quasi jamais entendus dans la vie, où les personnes concernées n’avouent hélas que trop rarement les faits d’agressions sexuelles qui leurs sont reprochés, même quand les preuves sont là – le procès de Mazan où la majorité des accusés ont plaidé « non coupable » en est le plus édifiant exemple. Alors oui, Les Femmes au balcon est un film parfois maladroit, péchant notamment par l’envie de sa réalisatrice de défendre trop de sujets à la fois. Mais il est certainement l’un des plus cathartiques de l’année. Et ça fait du bien !
ALICIA ARPAÏA
Les Femmes au balcon
Réalisé par Noémie Merlant
Écrit par Noémie Merlant, avec la collaboration de Céline Sciamma
Avec Noémie Merlant, Sanda Codreanu, Souheila Yacoub et Lucas Bravo
France, 2024
Trois femmes, dans un appartement à Marseille en pleine canicule. En face, leur mystérieux voisin, objet de tous les fantasmes. Elles se retrouvent coincées dans une affaire terrifiante et délirante avec comme seule quête, leur liberté.
En salles depuis le 11 décembre