MEAN GIRLS, LOLITA MALGRE MOI - Samantha Jayne & Arturo Perez Jr.
Fausse note
L’actrice et scénariste Tina Fey est de retour avec une version musicale de Mean Girls. La proposition ne prend pas et on découvre un film trop conscient de sa portée et de la place culte qu’occupe l’œuvre originale dans la pop culture. Un naufrage en chansons.
« Le mercredi, on porte du rose ». Cette réplique, vous la connaissez forcément. Elle est extraite d’un des teen movies cultes des années 2000, Mean Girls (Lolita malgré moi, sous nos latitudes). En 2024, ce code vestimentaire est toujours d’actualité. Le film n’est pas vraiment un remake de celui de 2004 – d'après le livre de développement personnel de Rosalind Wiseman, Queens Bees and Wannabes – mais une adaptation de la comédie musicale de 2018, jouée à Broadway. Mean Girls mouture 2024 est donc une comédie musicale ! Le récit et les enjeux narratifs restent les mêmes et les aficionados du film original ne seront pas dépaysés. Mean Girls est de ces projets de studio qui se montent grâce à la nostalgie d’un public millennial mais qui cible un public Gen Z, biberonné via les réseaux sociaux aux punchlines cultes du film et à son aura années 2000 cool. Résultat, on se retrouve avec un film tiraillé entre deux problématiques. D’une part celle de la réactualisation d’une œuvre qui culturellement a pris un petit coup de vieux, et de l’autre un sérieux problème d’adaptation d’un genre scénique au cinéma : ici la comédie musicale.
Cette nouvelle production suit un protocole simple. Elle reprend la structure et l’aura pop culturelle de la version de 2004 et les greffe sans habileté sur la version de 2024, en saupoudrant le tout d’une partie des chansons du livret original du spectacle. L’opération est un échec et on se retrouve avec une œuvre qui boite. Un comble pour un film musical ! Mean Girls lorgne du côté du politiquement correct pour satisfaire un public beaucoup plus rodé sur les questions de représentativité, de politique des corps et d’injonction de genre. Il tente de créer du neuf sur le squelette d’un film fortement marqué par l’écriture comique du début des années 2000. On retrouve d’ailleurs l’actrice et scénariste Tina Fey (30 Rock, Kimmy Schmidt...) au scénario, comme c’était déjà le cas en 2004. Pourtant les traits d’humour de Fey ont vieilli et ce qui faisait le sel de son écriture très Saturday Night Live du début des années 2000 fait beaucoup moins rire. On ne comprend jamais le ton et la grille de lecture de cette nouvelle proposition.
Crash musical
Dans cette version très lissée, être queer est la nouvelle norme, mais c’est un queer décoratif et dépolitisé. Le capitalisme et la société de consommation ont assimilé les identités queer acceptables et nous les régurgitent dans un film qui ne sait jamais avec quoi il peut être drôle, tant il danse sur des pieds incertains. Il n’est de plus pas épargné par une réalisation et une direction de la photographie assez plates et ennuyeuses, même lors des numéros musicaux, oubliables. Il y a également un vrai souci de choix de point de vue. En 2004, la narration était comme un journal de bord tenu par Cady Heron. Une sorte d’étude de son adaptation à la micro-société codifiée du lycée nord-américain avec ses cliques et ses rites de passage. L’idée de comparer une hiérarchie lycéenne pyramidale à une hiérarchie animalière était brillante. La forme et le fond étaient intimes, maladroits et drôles. Ici, on suit la structure de la comédie musicale, racontée par plusieurs personnages. Le fil narratif devient rapidement confus et, à force de vouloir rendre chaque personnage tridimensionnel sans comprendre les enjeux des archétypes du teen movie, on passe à côté du film.
Cette tentative ne comprend rien aux codes du genre de la comédie musicale et pour se donner un air faussement cool, le film se moque du matériau d’origine qu’il veut adapter. Il la relègue à un genre mineur et balaie avec beaucoup de cynisme la richesse d’un genre cinématographique majeur (même si plus très à la mode). Il ne tente pas de rentrer dans le langage du film musical et lui appose une hyper réalité. Sur Mean Girls, les changements de ratio séparent les séquences musicales et celles non musicales. Erreur monumentale et autre preuve flagrante de l’incompréhension du genre qu’il aborde. On sent l’influence néfaste de La la land, dont l’approche trop réaliste de la comédie musicale a altéré la définition du genre pour les spectateur.ices. La proposition de Damien Chazelle a créé une rampe d’accessibilité pour le public frileux en tuant les codes du genre. C’est aussi l’hyper-conscience à tous les niveaux de production et l’omniscience pop culturelle de Mean Girls qui anéanti le film. Plus grave, il n’a rien à dire sur les jeunes générations et n’engage pas de réflexion sur l’héritage du film original ou sur son intérêt d’adapter le matériau comédie musicale.
LISA DURAND