RENCONTRE AVEC LAHA MEBOW - “Les femmes dans mes films sont des hommages à celles de ma tribu”

Gaga, réalisé par Laha Mebow (2022)

Elle documente par la fiction les conditions de la population atayal, sa tribu. Laha Mebow, première réalisatrice aborigène de Taïwan, est venue à Paris à l’occasion du festival Les Femmes de Taïwan font des vagues du Forum des Images, où elle a ouvert le bal avec Gaga, son dernier film. Fière de ses racines, elle s’est confiée sur cette dimension de son identité, l’absence de représentation de sa communauté et le rôle des femmes dans sa filmographie. 

Sorociné : Quand on vous présente, on dit souvent que vous êtes la première réalisatrice autochtone de Taïwan. Vous reconnaissez-vous dans cette description ?

J’accepte cette étiquette car c’est un fait, c’est mon identité. D’autant plus qu’aujourd’hui, il y a très peu de cinéastes autochtones. Des documentaristes, oui, mais des réalisatrices de fiction, c’est déjà plus rare. Je ne sais pas si le fait d’être la première me donne une responsabilité, mais en tout cas je ressens beaucoup de gratitude envers les autres aborigènes, car ce sont eux qui m’inspirent au quotidien. J’ai reçu beaucoup de prix à Taïwan pour les films que j’ai réalisés sur eux, donc j’ai le sentiment de devoir m’engager davantage pour la cause et sortir des sentiers battus. 

Vous dites avoir renoué avec cette partie de vous sur le tard. C’est ce qui vous a donné envie de faire des films ? 

J’ai toujours su que j’étais aborigène, mais que ce soit à l’école ou dans mes amitiés, j’ai grandi dans un environnement qui ne l’était pas. À mes 30 ans environ, je suis allée travailler dans une radio qui s’adressait spécifiquement aux populations autochtones. Je l’ai fait de manière volontaire car j’avais besoin de plus interagir avec ces communautés. Il y a eu un avant et un après cette étape de ma carrière. 

Est-ce que votre statut vous a fait rencontrer des difficultés dans l’industrie cinématographique ? 

Des difficultés peut-être pas, mais de l’isolement, oui. J’avais du mal à jauger le regard de mes collègues sur mon travail, vu qu’il tourne systématiquement autour de cela, et j’ai eu la sensation d’être marginalisée, de ne pas appartenir au même cercle. C’est curieux, car je n’ai jamais expérimenté le rejet quand j’étais enfant, il a fallu attendre que je commence le cinéma pour ça. Mais cela ne m’empêche pas de travailler et d’avoir de formidables collaborateurs. Et puis, je suis la première réalisatrice autochtone de Taïwan, mais j’ai envie qu’il y en ait un·e deuxième, un·e troisième… Peu importe si ce sont des hommes ou des femmes ! 

Vous avez réalisé quatre longs-métrages. Quelle place occupent les femmes dans votre cinéma ?

Les femmes de mes films sont des hommages à celles de ma tribu : résilientes, silencieuses mais œuvrant dans l’ombre. Dans Gaga par exemple, ce sont les personnages masculins qui sont à l’origine de l’écroulement de leur famille et qui tirent les autres vers le bas. Les femmes relèvent tout (rires). Mais je tiens à ne parler qu’en mon nom. À Taïwan, il y a 16 tribus aborigènes au total, donc je ne peux pas m’exprimer pour les autres. 

Dans Gaga, votre dernier film, vous dépeignez entre autres une jeune fille, Ali, qui tombe enceinte par accident. Elle finit par garder l’enfant mais envisage d’avorter. C’était important pour vous d’adresser ce sujet ? 

Ali n’aurait jamais dû tomber enceinte, car c’est en totale violation du Gaga, c’est-à-dire les règles de vie des aborigènes de la tribu atayal. C’est pour ça que la révélation de sa situation engendre un sacrifice de cochons et une cérémonie. Mais Ali comprend bien qu’être tombée enceinte est source de tracas dans sa famille, et elle y revient quand même. Malgré la violation des règles, tout le monde prend sa part pour rétablir l’ordre, retisser les liens et se montrer présent pour elle et son enfant. Je ne vais donc pas jusqu’au bout de cette idée de l’avortement, mais de toute façon, si elle y avait eu recours, cela aurait aussi été une violation de la tradition… 

Vous préparez actuellement un film porté par des personnages féminins. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Je n’ai pas encore tout à fait fini le scénario. Je suis à Paris actuellement, je profite de la ville ! Mais c’est un film qui honorera les femmes de ma tribu sur plusieurs générations. Elles sont inspirées par ma grand-mère, une figure motrice de ma carrière même si je ne l’ai jamais rencontrée. Elle a eu un destin très singulier. Elle chantait des chansons traditionnelles à l’époque où l’île était colonisée par le Japon. Ils ont récupéré les paroles d’une de ces chansons et un studio japonais très connu les a utilisées pour faire un film patriotique. Le nom de ma grand-mère figurait même au générique. J’aimerais bien incorporer cet élément dans le projet. 

Quelles cinéastes vous ont influencée ?

Principalement des hommes. Emir Kusturica pour n’en citer qu’un. Mais je suis fan des derniers films de Mia Hansen-Love. 

Vous considérez-vous comme féministe ? 

Je ne saurais le dire, parce que j’ai du mal à comprendre ce que cela signifie vraiment. Pour être honnête, je pense qu’à Taïwan, la situation des femmes est un peu meilleure que dans d’autres pays. Le travail est de manière générale moins physique, ce qui permet aux femmes d’être plus visibles dans l’espace public. En fait, c’est une question de comment la société évolue, et quelle place elles peuvent occuper parmi tous ces changements.

Propos recueillis par Léon Cattan.

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