RENCONTRE AVEC LAURA THOMASSET ET SARAH MOMESSO - “On voulait montrer des filles qui en ont marre, qui envoient bouler absolument tout le monde”

Olla, de Ariane Labed © Apsara Films

L’édition 2024 du festival international de courts-métrages de Clermont-Ferrand consacre une partie de sa sélection aux enjeux féministes, avec un programme spécial « Insoumises » qui revient sur des portraits de femmes en opposition à l’ordre établi. Rencontre avec les programmatrices, Laura Thomasset et Sarah Momesso.

Pouvez-vous nous raconter comment vous est venue l’idée de cette programmation ?

Sarah Momesso : C’est une idée qu’on avait depuis un moment. J’étais d’abord seule à la porter, puis Laura m’a rejointe dans l’aventure. Clermont-Ferrand, c’est un festival de courts-métrages généraliste, avec tous les genres, tous les styles de films. On a toujours eu des films queer, féministes, engagés, inclusifs… Et ça faisait un moment qu’on relevait des films qui nous plaisaient bien, qui mettaient en avant des figures féminines qui envoyaient du pâté ! Je commençais à allonger ma petite liste, j’avais annoncé à l’équipe mon envie virulente de faire cette rétrospective dont je n’avais pas encore le titre, autour des portraits de femmes fortes. C’est un collègue qui a eu l’idée de lier à la fois le focus géographique et la rétrospective thématique, par exemple en l’associant à un focus sur les réalisatrices européennes. Chemin faisant, il a fallu trouver la bonne année pour que les deux programmes soient compatibles, donc ça s’est présenté à nous cette année. Après, l’idée générale s’est construite au fur et à mesure des visionnages : on est d’abord parties de quelque chose comme 500 films, pour en arriver finalement à 24 ! Au long de ces visionnages, il a fallu dégrossir une problématique, et on s’est rendu compte que parler de toutes ces femmes allait être compliqué en quatre programmes. Donc on a essayé d’être les plus complètes, exhaustives possibles, même si on sait qu’il y a plein de sujets qu’on n’abordera pas ; mais on estime avoir été assez représentatives de plusieurs franges et plus générations de la population. On a fait un édito où on énumère, un peu à la façon de Chloé Delaume, toutes ces femmes.

Laura Thomasset : Pour les thématiques, quand on choisit de représenter des femmes fortes, ça peut partir dans tous les sens. On avait déjà assez tôt cette idée de devoir faire cet édito pour expliquer ce qu’on voulait, donc il fallait qu’on cadre. En fonction des films qu’on avait vus, on a réussi à établir des thématiques en fonction de ce qui nous intéressait le plus : la sororité (c’est vraiment le thème le plus important) l’émancipation, l’appropriation de son propre corps (et rien que cette thématique-là implique beaucoup de choses très différentes). On a des femmes trans, des mères, des travailleuses du sexe, des femmes qui sont empêchées ; donc plein de femmes très différentes qui veulent s’approprier leur corps et qui le font de manière différente. C’est surtout les thématiques de l’émancipation, la rébellion (contre la religion, la tradition, l’ordre établi), et la réappropriation de son corps, qui se sont détachées.

SM : On a aussi retravaillé la thématique de la rébellion, ça a été très long de trouver le titre. On était parties des femmes « fortes », et on s’était rendu compte qu’on devait aussi parler des femmes qui ne pouvaient pas, qui étaient empêchées, qui ont cette envie de sortir de l’ordre établi, des contraintes qu’on leur a imposées ; mais c’était important pour nous de parler de celles qui ne peuvent pas, en tout cas pas tout de suite. C’est le cas de Maman(s) de Maïmouna Doucouré : c’est une des rares fillettes de la rétrospective, qui se retrouve dans un système qu’elle ne comprend pas, mais on sent que la graine est en train de germer. D’où ce titre d’Insoumises, c’est quelque chose qui est présent en toile de fond.

J’imagine qu’il y a eu aussi la question de créer une catégorie à part, plutôt que d’intégrer ces courts à la compétition ? De créer une sélection en particulier, quitte à placer ces films dans une catégorie spécifique, plutôt que de les intégrer à une sélection générale, ce qui est un débat très présent pour les films queer par exemple ?

LT : Les films en compétition sont des films qui ont moins d’un an, qui doivent avoir été réalisés entre telle et telle date. Donc la question ne s’est pas posée.

SM : Il y a toujours eu des portraits de femmes, féministes, engagées, queer. Ce sont des comités de sélection à part, et qui se complètent. Dans le cadre de la rétrospective, on a calé un curseur assez large, puisque certains films de la sélection remontent à 1971, alors que pour les focus géographiques ils se sont contentés des 10 dernières années pour montrer une nouvelle vague de réalisatrices. Ça n’exclut pas les films récents.

LT : Ce qu’il faut savoir, c’est qu’on a fait notre choix pour Insoumises car les délibérations finales pour les compétitions n’avaient pas été faites. On a pioché dans des films récents, mais pas ceux qu’on venait de recevoir. On a fait le choix de s’arrêter tôt, et de ne pas considérer tous les films qu’on avait reçus cette année. Mais il y a aussi des portraits de femmes dans les films des compétitions.

SM : Pour la compétition nationale, j’ai les chiffres, sur 45 films sélectionnés, 21 sont réalisés ou coréalisés par des femmes, et 20 films avec un personnage principal féminin. Ces films-là ont donc été choisis après, et viennent s’ajouter à Insoumises, mais ce n’était pas prévu en amont. Cette année, on a reçu 9 400 films, donc on a fait notre tri, ce qui est très cruel, et il n’y a pas de ligne éditoriale. On choisit de très bons films, et on s’aperçoit à la fin qu’il y a par exemple des portraits de femmes fortes, ou qu’il y a plus de femmes que l’année dernière dans la compétition. On ne fait pas ce choix en fonction d’une thématique ou de la personne qui a réalisé.

Y a qu’à pas baiser ! de Carole Roussopoulos © Centre Audiovisuel Simone de Beauvoir

Vous mentionnez les dates des films, notamment Y a qu’à pas baiser de Carole Roussopoulos qui date de 1971. Est-ce que la question des archives a été un obstacle, puisque certains de ces films peuvent être encore difficiles à trouver ?

LT : Non, quand on a commencé à avoir cette liste de 500 films pour Insoumises, on s’est dit qu’on voudrait des avis extérieurs. Donc on est allées au Centre Simone de Beauvoir, pour rencontrer Peggy Préau qui nous a conseillé plein de films. C’eset elle qui nous a donné accès aux films. On a pu les visionner dans les meilleures conditions possibles, souvent pour visionner des films d’archives on n’est pas dans des conditions idéales. On a aussi rencontré les personnes qui s’occupent du festival du film de femmes de Créteil. Donc on a eu plein d’avis différents, ce qui nous a permis aussi d’avoir accès à des films qu’on aurait certainement galéré à trouver, ou vus sur YouTube avec une mauvaise copie… ça nous a aussi permis de parler avec elles pour les droits des films, c’est comme ça qu’on a eu Y a qu’à pas baiser. Samedi, on avait aussi un programme d’histoire où il y avait deux films de Carole Roussopoulos.

J’ai aussi vu La Dragonne, qui est un film des années 1980. Comment avez-vous réussi à le trouver ? ça a l’air d’être fabriqué avec trois bouts de ficelle…

SM : Oui, en plus c’est un plan séquence et on voit très bien qu’il y a des problèmes de son ! On voit même les gamins qui disent coucou à la caméra, ça s’est vraiment tourné à l’arrache près des Olympiades… C’est intéressant de mentionner La Dragonne parce que ça a été l’élément déclencheur, on l’avait ressorti pour l’ouverture du festival à l’occasion du décès de François Dupeyron, qui était très attaché au festival, il a eu deux grands prix, dont un pour La Dragonne. A ce moment-là ça nous avait impactées.

LT : Moi je l’avais découvert en plus sur grand écran à ce moment-là, et on s’est dit que pour 1982 c’est ultra-moderne, cette fille qui en a marre et qui parle de harcèlement de rue inversé…

SM : Ça a été un peu le point de départ, on s’est dit que c’était ça qu’on voulait montrer. Ces filles qui en ont marre, qui envoient bouler absolument tout le monde, sans qu’il y ait besoin que ce soit forcément moderne parce que ce film a quarante ans.

LT : C’est aussi là qu’on s’est dit qu’on voulait des femmes fortes, mais pas des femmes forcément victimes. On a des femmes qui sont empêchées, mais qu’on ne réduirait pas à des victimes.

SM : Ou à des mères courage…

LT : On voulait éviter les clichés, et montrer des dragonnes.

SM : Et des femmes imparfaites, aussi. Qui ne sont pas forcément des modèles d’excellence. Dans La Dragonne, elle a quand même des réflexions assez extrêmes, mais ça fait partie de son personnage.

Cette sélection marche particulièrement bien au sein du festival, toutes les salles sont pleines à craquer. Comment ça se passe pour vous ?

LT : Avec Clermont, on a un peu fait les montagnes russes dernièrement. En 2020, on a battu tous les records d’audience, trois semaines avant le confinement, on avait fait 172 000 entrées. L’année suivante, on a fait le festival en ligne, ensuite il y a eu la version avec le pass sanitaire… L’année dernière, c’était vraiment la reprise, et on était à 153 000 entrées. Cette année, on sait déjà qu’on a fait plus de 1 500 par rapport à l’année dernière. C’est très chouette pour nous, ça l’est moins pour les spectateurs qui se font refouler des salles parce qu’il y a des files d’attente de dingue ! Pour Insoumises, il y a un très bon bouche-à-oreille.

SM : Ce qui nous réjouit aussi, c’est de voir qu’il n’y a pas que des femmes dans les salles ! Il y a toutes les générations. Tout à l’heure, j’ai accompagné Blandine Lenoir qui va présenter son court L’Amérique de la Femme. Elle avait peur que son film ait mal vieilli, alors que des femmes racontaient qu’elles y étaient allés avec leur mère, leur grand-mère, leurs potes, et que, toutes générations confondues, ça riait très fort ! Il se passe quelque chose, et ça nous réjouit. On a toujours des doutes, quand on prépare un programme.

Propos recueillis par Mariana Agier