RENCONTRE AVEC ZABOU BREITMAN – « J’aime l’idée de ne pas savoir et de faire quand même »
© Nolita
Dans Le Garçon, Zabou Breitman et Florent Vassault se lancent dans une quête atypique : retracer l’histoire d’un jeune homme à partir de vieilles photos trouvées dans une brocante. Tandis que Florent parcourt la France avec sa caméra pour le retrouver, sa collaboratrice décide d’inventer vingt-quatre heures de la vie de cet homme. Les deux films, le documentaire et la fiction, réunis en un, donnent naissance à une œuvre singulière dont Zabou nous raconte la genèse.
Au début du film, vous expliquez que vous avez trouvé les photos représentant le fameux garçon et sa famille dans une brocante. Pourquoi les avez-vous choisies ?
Le véritable point de départ est que je voulais réaliser un film sur un inconnu ou une inconnue, n’importe qui. Avec Florent, nous avions déjà notre concept. Il ferait un documentaire et j’écrirais une fiction que nous finirions par assembler au montage. Le but était d’évoluer chacun de notre côté. Il ne connaissait pas l’angle de ma fiction et j’en savais assez peu de ses recherches, à part quelques interviews qu’il m’envoyait. Je ne savais pas s’il avait rencontré le garçon, par exemple.
En ce qui concerne les photos, c’est Florent qui les a trouvées sur un stand lors d’une brocante. Nous en avions déjà repéré sur Internet ou ailleurs. Mais on s’est arrêtés sur cette famille, car on voyait bien qu’ils avaient voyagé en France. On peut les voir en Alsace, dans le Sud, en Bourgogne, en Normandie. Florent trouvait intéressant d’aller sillonner la France à leur recherche. Il nous fallait assez d’indices pour avoir une chance de retrouver leurs traces. Nous n’avions pas grand-chose au départ sur les photos : un clocher en Alsace, la rue Francœur à Paris, un muret en Normandie et une inscription mentionnant un village en Bourgogne. Ça a marqué le début de notre quête.
Puis, bien évidemment, il y a ce garçon, qui nous a fascinés notamment par son regard. On ne connaissait pas son nom, mais on pouvait le voir de sa naissance, aux alentours des années 1950-1960, jusqu’aux années 2000. Nous avions cinquante ans de sa vie sur pellicule.
Lors des projections, il y a toujours quelqu’un pour nous demander « Pourquoi l’avoir choisi, lui ? » et il y a toujours un spectateur pour répondre « C’est peut-être lui qui vous a choisis ». Je ne suis pas mystique, Florent non plus d’ailleurs, mais je pense que notre garçon l’est, à sa manière.
Vous avez écrit des scénarios originaux, adapté des livres comme No et moi de Delphine de Vigan. Pourquoi avez-vous eu envie de vous tourner vers le docufiction ?
Je voulais trouver une façon différente de réaliser un film. J’étais attirée par cette forme de quête et ce mélange des genres entre le documentaire et la fiction. J’aime l’idée de ne pas savoir ce qui va se passer et de faire quand même.
Quand on regarde Le Garçon, on peut penser à Dora Bruder de Patrick Modiano dans lequel l’écrivain tente de retrouver la trace d’une enfant à partir d’un avis de recherche publié cinquante ans auparavant. Quelles ont été vos inspirations pour construire ce récit ?
Après les projections, les gens nous ont souvent dit que ça leur faisait penser à Modiano, mais aussi à L’Angoisse du roi Salomon d’Émile Ajar ou aux Gens dans l’enveloppe d’Isabelle Monnin. Beaucoup de références littéraires en somme, mais peu de cinéma. Il est vrai qu’il est rare de se lancer dans la fabrication d’un film comme nous l’avons fait sans savoir ce qui va se passer. Et imaginez pour trouver un producteur !
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À un certain moment dans le film, Florent et vous vous demandez s’il est éthique de raconter ainsi la vie de cet inconnu…
Cette question était encore plus difficile pour Florent que pour moi, car il faisait du documentaire alors que de mon côté, j’écrivais une fiction sans même reprendre le nom du garçon étant donné que je ne le connaissais pas. Florent se demandait sans cesse : « Que vais-je faire si je le retrouve et qu’il refuse ? Ou si je retrouve ses proches et qu’ils refusent ? » Nous avions vraiment une bonne étoile pour faire ce film, et heureusement tout s’est bien passé.
Après coup, les gens peuvent avoir l’impression que c’est cousu de fil blanc, que tout s’enchaîne parfaitement, mais cela n’a pas été le cas. Même si nous avons eu beaucoup de chance et que nous avons bénéficié de belles coïncidences. Les coïncidences existent, et d’ailleurs à ce propos Théophile Gautier disait : « Les coïncidences, c’est le nom de Dieu quand il ne veut pas signer ».
Dans votre documentaire, vous vous mettez également beaucoup en scène. On vous voit en train de faire le montage avec Florent, parler face aux photos, ou discuter tous les deux au téléphone…
À l’origine, Florent n’aime pas trop se voir dans ses documentaires. Mais je voulais vraiment qu’on le voie et qu’on l’entende autant que moi. C’était aussi une manière de partager notre état d’esprit pendant notre quête avec le spectateur. On est comme le public, on cherche en même temps que lui. Puis, quand on est ensemble, on rit beaucoup, on pleure beaucoup. Je me suis dit qu’il fallait que les gens le voient, car le départ de notre film avec notre investigation est très ludique. Puis, petit à petit, l’inconnu prend sa place et devient plus important que le jeu.
Comment s’est passé le montage ?
Nous avons travaillé sur ce projet pendant quatre ans et demi, dont environ deux ans de montage. À la fin, le film a beaucoup évolué, notamment grâce aux projections tests. Il nous a fallu du temps pour comprendre ce que racontait véritablement notre projet et c’est bien plus vaste que la simple quête d’un inconnu. Le Garçon nous montre que chaque vie vaut la peine d’être vécue, et j’en suis d’autant plus persuadée après avoir fait ce film.
Pour le montage, on s’est laissé porter par les récits des interviewés afin de trouver la forme finale qui n’est « pas carrée ». Le film n’est pas carré comme une photo peut être ratée, et c’est là que cela raconte un milliard de choses. Mais c’est bien parce que le film ne rentre dans aucune case qu’il a été compliqué de trouver un distributeur.
Comment avez-vous finalement réussi à convaincre un distributeur ?
Au bout d’un moment, Florent disait « Ce n’est pas possible, le film va rester sur l’étagère ». Puis, nous avons vu l’engouement du public, de la presse, lors des projections tests. Nous étions sidérés. Plusieurs distributeurs nous ont approchés, mais toujours avec une certaine réticence, et enfin, nous avons rencontré Moonlight Films Distribution qui est tombé amoureux du projet. Pour l’instant, il n’est pas encore programmé dans beaucoup de salles, mais nous verrons bien, à partir du 26 mars, si le bouche-à-oreille continue à faire son chemin…
Propos recueillis par Enora ABRY
Le Garçon
Écrit et réalisé par Zabou Breitman et Florent Vassault
Avec Isabelle Nanty, François Berléand et Damien Sobieraff
France, 2024
Tout débute avec les photos d'une famille. Une famille inconnue, qu’on a l’impression pourtant de connaître. Au centre : ce garçon. Qui est-il ? Quelle est son histoire ? Et si chaque individu était aussi le héros involontaire d’un conte ? Une enquête familiale vertigineuse, où réalité et fiction se mêlent jusqu’à se confondre parfois.
En salles le 26 mars 2025.