MON INSÉPARABLE - Anne-Sophie Bailly
Copyright Les Films du Losange
Road movie émancipateur
Après deux courts-métrages (En travail, La Ventrière) sur les difficultés et les beautés de l’enfantement, la réalisatrice Anne-Sophie Bailly interroge la maternité dans un premier long-métrage suivant la quête d’indépendance d’une mère et de son fils en situation de handicap mental.
Ils vivent ensemble dans un petit appartement, vont ensemble à la piscine, pensent ensemble à leurs futures vacances. Mona (Laure Calamy) et son fils à l’aube de la trentaine, Joël (Charles Peccia-Galletto), ne se quittent que quelques heures par jour pour aller au travail, l’une dans un salon d’esthétique et l’autre à l’ESAT (établissement médico-social réservé aux personnes en situation de handicap). Dans cet espace loin du regard maternel, Joël découvre le sentiment amoureux avec Océane (Julie Froger), qui ne tarde pas à tomber enceinte. Sont-ils prêts et surtout capables de fonder une famille ? Leur histoire d’amour est-elle réelle ou une simple lubie enfantine ? Autour d’eux, les parents s’inquiètent et tentent de reprendre le contrôle de cette situation quitte à infantiliser et renier les envies de leur progéniture. Espérant renouer le lien avec son fils, Mona saute dans sa voiture et l’emmène, à la dérive, dans le Nord de la France.
La mue en road-movie de Mon inséparable permet de décortiquer les mécanismes de dépendance entre la mère et le fils. Au fil de leurs escales, des scènes d’engueulades et de séparations, les profils se dessinent et les problématiques s’inversent : est-ce véritablement la relation entre Joël et Océane qui interroge ou plutôt l’impossibilité de Mona de se séparer de son fils ? Le personnage de la mère touche par sa justesse et le regard « pas poli » (pour reprendre les termes d’Anne-Sophie Bailly) que la réalisatrice et scénariste pose sur elle. Mona n’hésite pas à décrire les difficultés d’élever un enfant différent, à avouer que cette maternité lui a volé une partie de sa jeunesse et de sa vie de femme – des mots qui distancient son personnage de la typique mère-courage. De leur côté, Joël et Océane se révèlent bien plus conscients de leurs capacités que ne le laissait présager le discours de leurs parents. Ce dévoilement ne s’opère pas par des scènes classiques d’opposition (faites de grandes tirades et de larmes) entre les enfants et les adultes, mais plutôt grâce à quelques séquences courtes montrant leur intimité, leurs désirs ainsi que leurs ambitions pour leur avenir commun.
Avec cette esthétique sobre et ce récit sans fioritures, Mon inséparable évite l’écueil du mélodrame pathos et livre des réflexions fines sur le rapport à la maternité et sur la liberté à accorder aux personnes en situation de handicap. Ces réflexions sont d’autant plus belles qu’elles apparaissent transposables en dehors du cadre posé par l’histoire du long-métrage. Car finalement, comment accorder l’indépendance à son enfant malgré la peur ? À quel moment arrêter d’être une mère à plein temps ? Si Mon inséparable ne donne pas de réponses évidentes, son dénouement laisse entendre qu’il vaut mieux pencher du côté de la liberté, « une liberté précaire peut-être » comme le souligne la réalisatrice dans notre entretien, « mais du moins possible ».
ENORA ABRY
Mon inséparable
Réalisé par Anne-Sophie Bailly
Avec Laure Calamy, Charles Peccia-Galleto et Julie Froger
France, 2024
Mona vit avec son fils trentenaire, Joël, qui est "en retard". Il travaille dans un établissement spécialisé, un ESAT, et aime passionnément sa collègue Océane, elle aussi en situation de handicap. Alors que Mona ignore tout de cette relation, elle apprend qu’Océane est enceinte. La relation fusionnelle entre mère et fils vacille.
En salles le 25 décembre.