THE SUBSTANCE - Coralie Fargeat
Colocs de choc
La réalisatrice Coralie Fargeat propose une surenchère de body horror jusqu’à l’indigestion, mais ne réussit pas à camoufler un propos féministe rebattu et bien moins subversif qu’il n’y paraît.
On ne peut pas dire qu’on ne savait pas. Depuis Revenge (2017), la réalisatrice française Coralie Fargeat avait annoncé son goût pour le gore outrancier et sa volonté de détourner la figure de Lolita à la peau de pêche vers son versant saturé d’hémoglobine. Et surtout, son amour pour mettre en images la prédation sous sa forme la plus animale… Sans s’embêter avec la subtilité.
Lorsqu’elle revient, sept ans plus tard, avec The Substance, le projet a de quoi intriguer – jusqu’à créer une des principales attentes du festival à la rédaction. Partie entre-temps développer son cinéma aux États-Unis, Coralie Fargeat revient donc avec une production américaine, réunissant l’actrice iconique des années 1980 Demi Moore et la star sous les radars Margaret Qualley. Le tout dans un récit horrifique racontant une star de la télévision vieillissante et mise de côté, qui se trouve confrontée à une mystérieuse substance permettant de dupliquer son propre corps en une meilleure version, plus jeune, plus belle, de soi-même – à condition de respecter une balance de sept jours entre l’usage de chaque corps.
Avec ses airs de Dorian Gray punk, difficile de faire un pitch plus programmatique, et dans toute sa première partie, The Substance déroule sagement son récit, se riant de sa prévisibilité et de ses effets quasi parodiques. La version jeune de l’ex-star, incarnée par une Margaret Qualley retouchée à dessein, prend rapidement le pas sur une Demi Moore sur le déclin, quitte à dépasser le délai de sept jours nécessaires pour que les deux corps gardent leur équilibre. Car Hollywood déteste les femmes vieillissantes, et pour le démontrer, Coralie Fargeat va mobiliser les mêmes apparats que dans Revenge : exposition de la Lolita sur-sexuelle au regard des hommes, incarnation de la violence masculine par des personnages outrancièrement animaliers (on pense à cette scène où le producteur Harvey – on vous l’avait dit pour les gros sabots – s’empiffre de crevettes mayonnaise en annonçant au personnage de Demi Moore son licenciement). Le tout évoluant dans un récit en vase clos, dont le minimalisme absolu frise dangereusement le navet.
C’est en fait à la moitié du film que The Substance trouve son ton. Lorsque Demi Moore et Margaret Qualley se déclarent une guerre ouverte, Coralie Fargeat assume son usage comique du gore et s’affranchit de tout premier degré sur son sujet, pour le porter vers une surenchère grand-guignolesque façon film de série B (qui n’est pas sans rappeler, étrangement, le final de Men d’Alex Garland et son accumulation de body horror symbolique sur la violence masculine). Bien plus plaisant à regarder une fois passée cette affirmation de ton, The Substance laisse toutefois perplexe : que cache cette surenchère d’un body horror finalement assez timide ? Un discours pas si original, ni creusé : plutôt que travailler son propos sur le culte du corps jeune et la détestation de soi, Coralie Fargeat va faire tourner une machine gore et provocatrice, en accumulant les références au cinéma de Cronenberg, Kubrick, De Palma et Mankiewicz, plutôt que de développer le sien propre. Et c’est dommage.
MARIANA AGIER