BLANCHE NEIGE - Marc Webb
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Sommeil Mortel
Dernière princesse en date à recevoir le traitement live action de la part de la maison Disney, Blanche-Neige fait pâle figure dans une adaptation si lisse et sirupeuse qu’elle en devient instantanément oubliable.
Depuis 2015 et l’adaptation live action de son Cendrillon, Disney nous sert régulièrement des relectures plus ou moins intéressantes de sa galerie de princesses emblématiques. Premier long-métrage d’animation du studio aux grandes oreilles sorti en 1937, Blanche-Neige se devait de se remettre au goût du jour, pour trouver un nouveau public et continuer de remplir les poches du studio. Pourtant, depuis l’annonce du projet en 2021, le film amasse les polémiques : le choix de Rachel Zegler, comédienne américaine d’origine colombienne et polonaise pour interpréter le rôle titre, les prises de parole controversées de ses comédiennes – celles dites « woke » et féministes de Rachel Zegler et son soutien pro-Palestine, le soutien pro-Israël de la comédienne Gal Gadot – et les griefs exprimés par la communauté des acteur·ices nain·es d’Amérique concernant le choix de Disney de ne plus caster d’acteurs nains et de les remplacer par des créatures fantastiques générées par ordinateur… Précédé de cette odeur de soufre, le film laissait présager une relecture audacieuse, voire épineuse. Il n’en est rien, Marc Webb et Disney livrent une adaptation gentillette sans aspérités aux contours familiers. Si l’intrigue originelle n’a pas changé, les ajouts empruntés au genre du film d’aventure et au récit d’apprentissage et d’émancipation ne suffisent pas à rendre le film pertinent et novateur.
Comme nombre de ses comparses, la figure de Blanche-Neige n’a pas attendu cette nouvelle mouture pour être retravaillée par d’autres. Ainsi, au mitan des années 2010, l’héroïne communiquant avec les animaux est passée par la comédie camp baroque sous la caméra de Tarsem Singh (Mirror Mirror, 2011) avec Lily Collins et Julia Roberts, celle girlboss médiévale de Rupert Sanders (Blanche-Neige et le Chasseur, 2012) avec Kristen Stewart et Charlize Theron, celle en noir et blanc muette de Pablo Berger (Blancanieves, 2012) avec Macarena García et Maribel Verdú, ou encore par un traitement télévisé sur la chaîne familiale ABC (filiale de Disney) avec la série Once Upon a Time d’Adam Horowitz et Edward Kitsis (2011-2018) avec Ginnifer Goodwin et Lana Parrilla. Le film original proposait une vision terrifiante et emplie de noirceur du conte des frères Grimm, où les choix de mise en scène soulignaient la vision fascinante de l’équipe d’animation entre reine camp et forêt cauchemardesque, malgré des représentations problématiques des assignations de genre, du capital domestique des femmes, de l’amour hétéronormatif et de la culture de viol (pour approfondir, lire l’essai Décoder Disney-Pixar : Désenchanter et réenchanter l’imaginaire de Célia Sauvage).
La proposition de Webb et de la scénariste Erin Cressida Wilson paraît osciller entre plusieurs de ses variations existantes, les mélangeant dans une mixture ronflante. Absence d’idées de mise en scène et direction artistique catastrophique semblent composer la formule de cette tentative qui comprend mal les thématiques que peut lui offrir la dualité entre la princesse au cœur pur et la « méchante » reine vaniteuse. Malgré la présence d’une équipe artistique talentueuse et reconnue – Justin Paul et Benj Pasek (The Greatest Showman, La La Land, Aladdin) à la direction musicale, Sandy Powell (Orlando, Carol, La Favorite) aux costumes, Mandy Moore (Happiness Therapy, La La Land) aux chorégraphies et l’interprétation sensible de Rachel Zegler – rien n’y fait.
Webb et Wilson empruntent au récit d’apprentissage pour accompagner la transformation de leur héroïne et lui donner plus d’agentivité qu’en 1937. La jeune femme n’attend donc plus la venue de son prince ni la promesse d’un amour éternel naïf, mais se transmue en figure de résistance pour son peuple asservi par la reine. Cette révolution tiède déjoue un des véritables enjeux patriarcaux qui se joue dans Blanche-Neige. Les relectures des années 2010 l’ont bien compris, la thématique de la beauté éternelle se couple à un enjeu de pouvoir dévastateur, où beauté signifie jeunesse éternelle quel qu’en soit le prix. Ce critère inatteignable de beauté éternelle découle lui aussi d’une société patriarcale normative et jeuniste où les figures féminines ne sont considérées qu’à l’aune de leur apparence jeune, douce, sensible et muette. La figure de la « méchante » reine met en évidence cette violence patriarcale millénaire où les femmes désireuses de pouvoir et de richesse sont dépeintes comme des marâtres et des monstres.
Au lieu de creuser ce sillon, le film s’empêtre dans une morale de conte surannée où la beauté intérieure du cœur prévaut, balayant toute exploration possible de figures féminines tridimensionnelles complexes. D’ailleurs, les enjeux narratifs de la reine sont vite expédiés lorsqu’elle affronte sa rivale, et sa propre perte viendra des mains de sa vanité et non de l’héroïne, trop pure pour administrer un châtiment. Même le prince à droit à un traitement plus intéressant. Figure salvatrice du film original, le ménestrel en collant s’est mué en mercenaire goguenard et rebelle. Si c’est au contact de Blanche-Neige qu’il se découvre un grand cœur héroïque, il conserve son pouvoir et reste celui qui, d’un baiser d’amour véritable (et non consenti), la sort de son sommeil de mort puis l’accompagne dans sa dernière bataille pour sauver son royaume. Royaume qu’elle hérite de son père, ainsi, la princesse continue de passer des bras du père à ceux du prince. La redistribution des cartes n’est ici qu’une affaire de surface, malgré quelques efforts « progressistes » de dialogues et de chansons, notamment le titre Des problèmes de princesse, qui tente piteusement d’insuffler de la modernité à ce conte aux figures imposées épuisantes.
LISA DURAND
Blanche Neige
Réalisé par Marc Webb
Ecrit par Erin Cressida Wilson
Avec Rachel Zegler, Gal Gadot, Andrew Burnap
U.S.A ,2025
"Blanche-Neige" des studios Disney est une nouvelle version du classique de 1937 en prises de vues réelles. Avec Rachel Zegler dans le rôle principal et Gal Gadot dans celui de sa belle-mère, la Méchante Reine. Cette aventure magique retourne aux sources du conte intemporel avec les adorables Timide, Prof, Simplet, Grincheux, Joyeux, Dormeur et Atchoum.
En salles le 19 mars 2025.