CHÂTEAU ROUGE - Hélène Milano
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Des élèves extraordinaires
Pour son troisième long-métrage documentaire, Hélène Milano plonge sa caméra au cœur d’un collège parisien du quartier de la Goutte-d’Or. Château Rouge dresse avec délicatesse le portrait nuancé d’une jeunesse défavorisée, entre questionnements et espoir.
Depuis quelques années, le cinéma documentaire semble s’intéresser de près à deux institutions publiques : l’hôpital et l’école, comme autant de terrains de jeux pour raconter des histoires qui rendent compte de notre société contemporaine et des ses enjeux. Et c’est cette deuxième qui va nous intéresser, ici. On pense bien évidemment à Être et Avoir de Nicolas Philibert (2002) au sein d’une école primaire auvergnate, à Entre les murs de Laurent Cantet (2008) qui flirte entre fiction et documentaire, à Swagger d’Olivier Babinet (2016) nous plongeant dans les imaginaires d’une dizaine de collégiens fascinants ou encore Apprendre de Claire Simon (en salles la semaine prochaine, le 29 janvier) dans lequel la réalisatrice se place à hauteur d’enfants plus de trente ans après Récréations (1998). La documentariste Hélène Milano poursuit, elle, son exploration sociologique de la jeunesse après Les Roses noires (2012) concentrée sur cinq adolescentes de banlieue entre la Seine-Saint-Denis et Marseille, puis Les Charbons ardents (2019) auprès de jeunes garçons dans un lycée professionnel.
Avec Château Rouge, elle s’immisce dans un collège parisien, Georges-Clemenceau, situé quartier de la Goutte-d’Or. Le temps d’une année, elle observe Bilel, Marwa, Lêna, Nissi et les autres, toustes élèves en classe de troisième, à l’âge où les questions de l’orientation pèsent sur les jeunes épaules. Issu·es de l’immigration et de quartiers défavorisés, l’école publique qu’ils ne comprennent pas toujours et dans laquelle ils s’ennuient apparaît ici comme le lieu de passage vers une vie meilleure porteuse de l’espoir d’un après comme une échappée des déterminismes sociaux. Au moment de faire ces choix cruciaux pour leur avenir, la réalisatrice porte son attention sur la manière dont l’équipe pédagogique les encadre et les conseille malgré leurs difficultés scolaires et familiales. Ici, CPE, AED (assistants d’éducation), assistants sociaux, professeurs et principale sont présents pour apporter une autre éducation et les aider à grandir.
Pourtant, Château Rouge ne dissimule jamais la violence de classe sous-jacente les obligeant à s’orienter par défaut vers d’autres métiers que celui auquel ils avaient rêvé. La principale rappelle à l’un d’entre eux qu’ils sont « tous des élèves extraordinaires », sous-entendu par leurs différences. Et c’est exactement par ce prisme qu’Hélène Milano les regarde, s’attardant sur ces visages lucides, parfois silencieux, tels des paysages singuliers et souvent mélancoliques. Des petites bulles d’interview ou de lâcher-prise viennent ponctuer les séquences quotidiennes de vie en classe, et la beauté peut naître de la parole tranchée loin des adultes comme d’une scène improvisée de danse magique entre deux adolescents.
DIANE LESTAGE
Jouer avec le feu
Réalisé par Hélène Milano
France, 2024
Quartier de la Goutte d'Or à Paris, métro Château Rouge, collège Georges Clemenceau. Chargés de leur insouciance et de leurs blessures, les adolescents doivent grandir. Ils construisent leurs personnalités, se perdent, se cherchent. Les adultes tentent de les guider malgré la violence du système.
En salles le 22 janvier 2025