NIGHTBITCH - Marielle Heller
Copyright Searchlight Pictures
Chienne de vie
Marielle Heller adapte le roman éponyme de l’autrice Rachel Yoder et propose un film surréaliste aux accents fantastiques propret, métaphore d’une réflexion sur la maternité manquant de subtilité.
« Motherhood is fucking brutal » ou la maternité c’est putain de brutal, annonce notre héroïne. En suivant la vie d’une femme ayant troqué son ambition professionnelle et sa carrière épanouie de galeriste et d’artiste contemporaine pour une existence de mère au foyer bourgeoise en plein burn-out, Marielle Heller filme le carcan patriarcal normatif de la maternité heureuse et accomplie imposée aux femmes occidentales. Alors qu’elle s’inspecte dans le miroir de la salle de bain, la mère épuisée remarque la présence d’une sorte de pelage animal au creux de ses reins et se découvre une ouïe fine, un odorat sensible et surtout des canines aiguisées. Elle en est persuadée, elle se transforme en chien à la nuit tombée, et s’autoproclame Nightbitch. En explorant les images canines et primales que s’imagine la mère, le film s’écarte rapidement d’un possible body horror et s’oriente vers une métaphore surréaliste moins barrée et sûrement plus lisible (et plus économique, en matière d’enjeux de production) pour le public. Ainsi, Heller construit une ode au champ de bataille qu’est la maternité. Représenter la quotidienneté de la maternité est encore chose trop rare au cinéma, surtout quand il s’agit de s’extraire des canons romantisés de celle-ci, largement représentés dans le genre de la comédie et ses sous-genres. Ici on est sur un désir de maternité choisi, mais dont l’héroïne ne se figurait pas les sacrifices, très bien imagés par le montage répétitif et épuisant de son quotidien domestique. Ce trop-plein atteint son acmé lors d’une scène de body painting mère-enfant qui hérisserait le poil de tout adulte.
S’il vit majoritairement en hors-champ de part son travail nomade, la figure du père et du conjoint est travaillée par Heller. Moins stéréotypé qu’on pourrait s’y attendre, il incarne une masculinité désemparée face au désarroi de sa compagne. Il faut bien toute la nuance du comédien Scoot McNairy pour rendre ce père crédible, compatissant et profond. Surtout lorsqu’il appréhende enfin les efforts colossaux déployés par sa femme et confesse, lors du moment le plus poignant et vif du film, en contemplant les œuvres de celle-ci, qu’il l’a abandonnée et n’a pas su ressentir sa peine et son mal-être post-partum. Si McNairy est admirable, l’interprétation troublée d’Amy Adams est d’une puissance contenue spectaculaire et assoit son statut de grande comédienne. D’ailleurs, l’unité familiale n’a pas de patronyme, et chaque personnage est nommé par son statut familial, ainsi on suit la Mère, le Père et l’Enfant pour souligner l’universalité potentielle de la chronique. Lesté d’un monologue intérieur de la mère par le biais d’une voix off intempestive et surexplicative, le film, au-delà de sa recherche plastique, manque cruellement de profondeur et d’onirisme, se contentant d’appuyer sa métaphore évidente. Il rend la fantaisie et le gore du roman de Yoder très aseptisés. Il accole à sa protagoniste, afin de rendre l’indigestion totale, un passé trouble pour parachever ses névroses. La mère s’est extraite d’une communauté mennonite (mouvement chrétien anabaptiste évangélique issu de la Réforme radicale) où sa propre mère avait déjà laissé derrière elle ses aspirations personnelles et une potentielle carrière artistique pour élever une famille. Cependant, Nightbitch déblaie la possibilité d’une maternité certes brutale mais moins oppressive, c’est l’endroit où, pour se reconstruire, il faut choisir l’hybridation et entamer une métamorphose radicale. Comme celle déjà effectuée par le corps. Heller déduit que c’est la construction sociétale normative patriarcale de la maternité qui détruit, pas les enfants, et offre à son héroïne, dans une dernière séquence primale, un geste de création contrôlé selon ses conditions.
LISA DURAND
Nightbitch
Réalisé par Marielle Heller
Avec Amy Adams, Scoot McNairy, Arleigh Snowden
États-Unis , 2024
Après la naissance de son fils, une ancienne artiste reste chez elle et commence à développer la peur de se transformer en chien.
Disponible sur Disney + le 24 janvier 2025