BLACK BOX DIARIES - Shiori Itō

©2023 Star Sands, Cineric Creative, Hanashi Films

She Said

Le 29 mai 2017, la journaliste Shiori Itō fait appel après le classement sans suite de son affaire. Face à toute la presse japonaise, elle révèle avoir été victime de viol sous soumission chimique en 2015. D’abord publié sous forme de livre, Black Box Diaries devient une œuvre documentaire faisant figure d’ultime pièce à conviction accablante dans le combat qui l’oppose à son agresseur mais également à la législation archaïque et aux préjugés moraux d’un pays tout entier. En résulte un récit d’investigation fort et glaçant, exposant aux yeux de tous l’engrenage de la violence systémique patriarcale.

« Le terme de boîte noire est utilisé pour qualifier un système dont le fonctionnement interne est caché ou difficilement lisible. Le Japon est une terre de boîtes noires, et j'ai appris ce qu’il arrive lorsque l’on commence à les ouvrir dans cette société. Ce film ne traite pas d’une quête de justice face à mon agresseur, ni des politiques de gauche et de droite. Il s'agit plutôt du témoignage de l'expérience d'une femme – ma boîte noire, exposée aux yeux de tous. » [citation extraite du dossier de presse, NDLR]. C’est en ces termes que s’exprime la réalisatrice et journaliste japonaise Shiori Itō lorsque la presse l’interroge sur son film. Black Box Diaries est l’expression finale du combat qu’elle mène depuis le 3 avril 2015, date à laquelle elle est victime d’un viol sous soumission chimique commis par le journaliste Noriyuki Yamaguchi, un proche de l’ancien premier ministre du Japon, Shinzō Abe. Si la compilation d’archives vidéo et la consignation de notes manuscrites sont d’abord des moyens pour Itō de se protéger et argumenter son cas, le filmage automatique de sa procédure judiciaire devient un outil de mémoire puis une matière de cinéma documentaire. Ainsi, les morceaux de séquences vidéo et sonores filmées entre 2015 et 2019 deviennent le puzzle vertigineux qu’est Black Box Diaries. Ce documentaire est lui-même adapté du livre éponyme publié par la journaliste, autrice, réalisatrice en octobre 2017, d’après ses carnets de notes et ses recherches personnelles, après le classement sans suite de sa première plainte.

Shiori Itō éclaire avec simplicité et acharnement les nombreuses zones d’ombre de la société japonaise moderne concernant les questions de violences et harcèlement sexistes et sexuels faits aux femmes et leur perception dans l’espace public. Les preuves à charge s’accumulent à une vitesse alarmante et rendent la quête d’Itō encore plus dantesque. Face à tous les documents apportés, comment ne pas la croire, comment ne pas déclencher un mouvement contestataire à l’échelle d’un pays, alors que la publication de son ouvrage fait écho à l’enquête retentissante publiée en octobre 2017 par les journalistes Jodi Kantor et Megan Twohey pour le New York Times (enquête immortalisée dans le film She Said de Maria Schrader) qui amorce à l’échelle planétaire le mouvement #MeToo. Ainsi, en parallèle de l’affaire judiciaire contre le producteur de cinéma Harvey Weinstein, Shiori Itō devient une figure contestataire et contestée dans son propre pays, où la libération de la parole ne prend pas. Au Japon, la législation sur le viol n’a pas été révisée depuis l’ère Meiji, c’est-à-dire depuis plus d’un siècle. Si le cas d’Itō est si « révolutionnaire », c’est parce qu’elle fait partie du pourcentage infime de femmes au Japon qui ont rendu l’histoire de leur agression publique et l’on fait à visage découvert. Elle obtient gain de cause en 2019, mais le chemin fut éprouvant pour la réalisatrice.

Filmé à la première personne, souvent en caméra selfie, sous un régime d’images allant de l’intime bricolé au smartphone à la vidéosurveillance terrifiante, jusqu’à de l’archive d’État, ce documentaire flirtant presque avec le thriller paranoïaque suit une ligne directrice limpide. Il s’agit de reconstituer la mémoire, de se réapproprier son corps face à l’horreur mais surtout de créer un véritable précédent pour que la spirale médiatique, la violence et les menaces de la société japonaise que subit Itō ne se reproduisent plus. Avec des moyens simples et une écriture de journal intime digital, Itō tape juste et fait même bouger les lignes de la législation japonaise qui révise sa loi sur le viol. Une victoire en demi-teinte pour celle qui souligne tout de même le manque de changement de statu quo, pour les accusés de viols et de violences sexuelles : l’accusé et ses complices ont conservé leur poste ou ont été promus.

LISA DURAND

Black Box Diaries

Écrit et réalisé par Shiori Itō

Avec Shiori Itō

Japon, Grande-Bretagne, U.S.A ,2023

Depuis 2015, Shiori Itō défie les archaïsmes de la société japonaise suite à son agression sexuelle par un homme puissant, proche du premier ministre. Seule contre tous et confrontée aux failles du système médiatico-judiciaire, la journaliste mène sa propre enquête, prête à tout pour briser le silence et faire éclater la vérité.

En salles le 12 mars 2025.

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